Thème: Économie
Publié le 29 octobre 2024
Les mieux nantis ont capté une part disproportionnée de l’augmentation de la valeur du patrimoine des familles au Québec depuis la pandémie de COVID-19. C’est ce que révèle une analyse des plus récentes données de l’Enquête sur la sécurité financière (ESF) – la principale base de données sur le patrimoine des familles au Canada – publiée hier par Statistique Canada.
L’an dernier, l’Observatoire québécois des inégalités publiait un premier portrait des inégalités de patrimoine au Québec. S’appuyant sur les éditions précédentes de l’ESF, cette analyse démontrait notamment que les inégalités de patrimoine – qui font référence à la richesse accumulée par les individus et les familles – étaient bien plus prononcées que les inégalités de revenu.
Qu’est-ce que le patrimoine?
Le patrimoine fait référence à la richesse accumulée au cours de la vie. Cette richesse familiale ou personnelle correspond à la valeur des avoirs (ex : maisons, investissements) moins les dettes (ex : cartes de crédit, hypothèque), si du jour au lendemain il fallait liquider tous ses biens et s’acquitter de toutes ses obligations financières.
Synonymes : richesse, valeur nette, actif net et avoir net.
Le patrimoine des familles a évolué de façon fort inégale depuis la pandémie
Entre 2019 et 2023, la valeur du patrimoine détenu par les familles du Québec est passée de 2 417 milliards $ à 3 008 milliards $. Les familles faisant partie des 10 % les plus riches ont capté, à elles seules, près du tiers (32,3 %) de cette augmentation. De leur côté, les familles faisant partie des 40 % les plus pauvres n’ont capté que 11,2 % de la croissance de la richesse.
Tableau 1. Valeur nette totale par décile d’avoir net (en millions de dollars constants de 2023), Québec, 2019-2023
Source: Calculs de l’Observatoire basés sur le tableau 11-10-0075-01 tiré de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada.
Figure 1. Part de l’augmentation de la valeur nette totale captée par chaque groupe, Québec, 2019-2023
Source: Calculs de l’Observatoire basés sur le tableau 11-10-0075-01 tiré de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada.
En tenant compte de l’inflation, la valeur nette médiane des familles au Québec est passée de 274 700 $ en 2019 à 371 000 $ en 2023, une augmentation de près de 100 000 $. Pour les familles faisant partie des 10 % les plus riches, la valeur nette médiane est passée de 2,2 millions $ en 2019 à 2,6 millions $ en 2023, soit une augmentation de plus de 400 000 $. De leur côté, les familles se trouvant au bas de la distribution du patrimoine ont vu leur valeur nette médiane passer de 400 $ à 4 000 $.
Tableau 2. Valeur nette médiane par décile d’avoir net (en dollars constants de 2023), Québec, 2019-2023
Source: Calculs de l’Observatoire basés sur le tableau 11-10-0075-01 tiré de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada.
On peut en conclure que la croissance du patrimoine au Québec entre 2019 et 2023 n’a pas profité également à l’ensemble des familles.
Figure 2. Valeur nette médiane par décile d’avoir net, Québec, 2019-2023
Source: Calculs de l’Observatoire basés sur le tableau 11-10-0075-01 tiré de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada.
Importante croissance de la valeur des biens immobiliers
L’augmentation de la richesse des familles depuis la pandémie s’explique en grande partie par la hausse marquée de la valeur des actifs immobiliers. En effet, ce sont les biens immobiliers qui ont le plus contribué à la croissance du patrimoine des familles. Au Québec, ils sont responsables de 59 % de l’augmentation de l’actif total des familles. La valeur totale des actifs immobiliers est passée de 980 milliards $ en 2019 à 1 352 milliards $ 2023 (en dollars constants). Cette importante croissance risque de creuser les inégalités entre propriétaires et locataires.
La valeur des régimes de pension agréés – soit les régimes de pension offerts par les employeurs aux employés retraités – a quant à elle diminué, passant de 723 milliards $ en 2019 à 593 milliards $ 2023 (en dollars constants).
Figure 3. Contribution à l’augmentation de l’actif total par composante de l’actif, Québec, 2019-2023
Source : Calculs de l’Observatoire basés sur le tableau 11-10-0049-01 tiré de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada.
Alors que la valeur des actifs détenus par les familles au Québec a augmenté de 23 % entre 2019 et 2023, celle des dettes – qui constituent la deuxième dimension du patrimoine – a augmenté de 10 %. Cette augmentation au niveau des obligations financières des familles est attribuable à l’augmentation de la dette hypothécaire, dont la valeur totale est passée de 288 milliards $ en 2019 à 324 milliards $ en 2023 (en dollars constants).
Tableau 3. Valeur de la dette par composante de la dette (en dollars constants de 2023), Québec, 2019-2023
Source : Calculs de l’Observatoire basés sur le tableau 11-10-0049-01 tiré de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada.
Tel que souligné l’an dernier dans une analyse portant sur l’endettement, on constate que le prêt hypothécaire constitue un levier d’enrichissement pour un grand nombre de familles au Québec. Entre 2019 et 2023, la dette hypothécaire a augmenté de 36,8 milliards $, alors que la valeur des actifs immobiliers a augmenté de 372 milliards $.
Le Québec parmi les provinces les plus inégalitaires en termes de patrimoine
Le Québec se positionne comme la province la moins inégalitaire au Canada au niveau de la distribution du revenu après impôt, mais ne fait pas aussi bonne figure pour le patrimoine. Alors que le positionnement du Québec à l’égard du revenu s’explique par un système d’impôt sur le revenu plus progressif et des transferts gouvernementaux plus généreux, les politiques de redistribution beaucoup plus timides à l’égard du patrimoine ne permettent pas au Québec de se hisser parmi les provinces les moins inégalitaires à ce chapitre.
En 2023, les familles faisant partie des 10 % les plus riches captaient 46 % de la valeur nette au Québec. Le Québec se positionne tout près des provinces des Prairies, où les mieux nantis captaient 47 % de la richesse. En Colombie-Britannique, les familles faisant partie des 10 % les plus riches captent 39 % de la richesse, contre 5 % pour les familles faisant partie des 40 % les plus pauvres.
Figure 4. Part de la valeur nette captée par chaque groupe, régions canadiennes, 2023
Source : Calculs de l’Observatoire basés sur le tableau 11-10-0075-01 tiré de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada.
Des inégalités de patrimoine sous-estimées
Cette analyse a mobilisé les données de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada, mais ces dernières sous-évaluent l’importance de la richesse détenue au sommet de la distribution. En effet, le directeur parlementaire du budget a relevé des problèmes de sous-déclaration ou d’absence de données chez les familles détenant un patrimoine très élevé au sein de l’ESF. Par exemple, dans l’ESF de 2019, la valeur la plus élevée du patrimoine s’élevait à 30 millions $. Pourtant, selon la liste des milliardaires de Forbes, le patrimoine le plus élevé au Canada était, en 2019, de 32,5 milliards $, soit une fortune plus de 1 000 fois plus importante que le patrimoine le plus élevé des données de l’ESF.
Des données de meilleure qualité permettraient de jeter un éclairage plus juste sur la répartition de la richesse au Canada. Les inégalités de patrimoine constituent un indicateur essentiel de la situation socioéconomique des familles au Québec et au Canada. Elles tiennent également un rôle primordial dans la reproduction de la position sociale d’une génération à l’autre.