Comment se comparent les programmes d’assistance sociale aux seuils des mesures de pauvreté?

Publié le 1 mai 2023

Mise en contexte

Le gouvernement du Québec a lancé, le 17 avril dernier, une consultation publique dans le cadre des travaux d’élaboration du quatrième plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Prévus dans la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale – adoptée il y a 20 ans – ces plans d’action permettent notamment de proposer des modifications aux programmes d’assistance sociale, aujourd’hui connus sous le vocable « d’aide financière de dernier recours ».

Afin d’éclairer le débat, l’Observatoire québécois des inégalités présente une évaluation du niveau de ces prestations au regard des principales mesures de pauvreté. Selon cette analyse, les programmes d’assistance sociale en vigueur au Québec ne permettent pas à leur prestataire de disposer d’un revenu suffisant pour couvrir leurs besoins de base.

Un nouveau programme : le revenu de base

Jusqu’à tout récemment, trois programmes avaient pour but de fournir une aide financière de dernier recours au Québec : le Programme d’aide sociale qui s’adresse aux personnes n’ayant pas de contraintes sévères à l’emploi, le Programme de solidarité sociale qui s’adresse aux personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi et le Programme objectif emploi qui s’adresse aux personnes admissibles pour une première fois au Programme d’aide sociale. Depuis le 1er janvier 2023, le Programme de revenu de base – qui découle du troisième plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté  – est venu compléter cette offre.

Ce programme se distingue par des prestations jusqu’à 40% plus élevées que celles prévues aux autres programmes d’aide financière de dernier recours et par le versement d’une aide financière individuelle, plutôt que par ménage. Il est toutefois réservé aux personnes ayant des contraintes à l’emploi sévères et persistantes.

Tableau 1. Montant annuel des prestations et nombre d’adultes prestataires des programmes d’aide financière de dernier recours, Février 2023

Note : La famille monoparentale est composée d’un parent et d’un enfant. La famille de référence est composée de deux parents et de deux enfants. Sources : Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Rapport statistique sur la clientèle des programmes d’assistance sociale, Février 2023.

Des prestations insuffisantes pour atteindre les seuils de pauvreté

Bien que le Programme de revenu de base prévoie des prestations nettement plus élevées que les programmes d’aide et de solidarité sociale, les prestataires de ce programme demeurent toutefois en situation de pauvreté au regard des principales mesures de faible revenu.

En effet, les seuils de la mesure de panier de consommation (MPC), de la mesure de faible revenu (MFR), et de la mesure de revenu viable (MRV) sont tous supérieurs aux montants annuels des prestations de dernier recours et ce, autant pour une personne seule que pour une famille monoparentale ou un couple avec enfants.

Tableau 2. Description et seuils des principales mesures de pauvreté

Note: Les seuils de la MPC (provisoire) sont présentés pour l’année 2022 pour une personne ou une famille vivant à Montréal. Les seuils de la MFR sont présentés pour l’année 2020 pour une personne ou une famille vivant au Québec. Les seuils de la MRV sont présentés pour l’année 2023 pour une personne ou une famille vivant à Montréal.

Sources: Statistique Canada, Seuils de pauvreté provisoires pour 2022 pour les régions de la MPC. Institut de la statistique du Québec, Seuils du faible revenu selon la MFR. Institut de recherche et d’information socio-économique, Le revenu viable 2023: dans la spirale de l’inflation et des baisses d’impôt.

 

Il est toutefois nécessaire de tenir compte de l’ensemble des transferts gouvernementaux qui s’ajoutent au revenu disponible des prestataires des programmes d’aide de dernier recours. C’est notamment le cas du crédit d’impôt remboursable pour la solidarité au Québec et du crédit d’impôt pour la TPS/TVH au Canada. À ces montants s’ajoutent également l’Allocation canadienne pour enfants (7 437$ par enfant de moins de 6 ans et 6 275$ par enfant de 6 à 17 ans) et l’Allocation famille (2 782$ par enfant) pour les ménages avec enfant. En 2023, ces transferts peuvent atteindre 1 522 $ pour une personne seule, 12 339$ pour une famille monoparentale et 20 999 $ pour une famille de référence.

En additionnant le montant des prestations d’aide de dernier recours aux autres transferts gouvernementaux composant le revenu disponible, on constate que les prestataires des programmes d’assistance sociale se retrouvent tout de même sous les trois seuils de pauvreté (MPC, MFR et MRV). Par exemple, une personne seule prestataire du programme d’aide sociale (sans contrainte temporaire à l’emploi) a un revenu disponible couvrant seulement 46% du seuil de la mesure de panier de consommation, 39% du seuil de la mesure de faible revenu et 33% du seuil de la mesure de revenu viable. Le revenu disponible d’une personne seule prestataire du programme de revenu de base, quant à lui, couvre 86% de la MPC, 72% de la MFR et 62% de la MRV.

Figure 1. Revenu disponible des prestataires de l’aide financière de dernier recours en proportion des seuils des principales mesures de pauvreté, personne seule, 2023

Notes : Les seuils de la MPC (2022) et de la MFR (2020) ont été indexés afin d’obtenir une mesure pour 2023. Le revenu disponible est composé des prestations d’aide financière de dernier recours (2023), du crédit d’impôt pour la solidarité (Juillet 2022 à Juin 2023) et du crédit d’impôt pour la TPS/TVH (Juillet 2022 à Juin 2023). Les valeurs de la MPC et de la MRV sont celles pour Montréal. Source : Calculs de l’auteur. Statistique Canada, Seuils de pauvreté provisoires pour 2022 pour les régions de la MPC. Institut de la statistique du Québec, Seuils du faible revenu selon la MFR. Institut de recherche et d’information socio-économique, Le revenu viable 2023: dans la spirale de l’inflation et des baisses d’impôt.

Une famille monoparentale prestataire de l’aide financière de dernier recours se retrouve également sous les seuils de pauvreté, et ce, malgré les allocations familiales. En effet, le revenu disponible d’une famille composée d’un adulte et d’un enfant de moins de 6 ans prestataire du programme d’aide sociale (sans contrainte temporaire à l’emploi) couvre 65% du seuil de la mesure de panier de consommation, 55% du seuil de la mesure de faible revenu et 49% du seuil de la mesure de revenu viable. Le revenu disponible d’une famille de référence prestataire du programme de revenu de base, quant à lui, couvre 94% de la MPC, 79% de la MFR et 71% de la MRV.

Figure 2. Revenu disponible des prestataires de l’aide financière de dernier recours en proportion des seuils des principales mesures de pauvreté, famille monoparentale, 2023

Notes : Les seuils de la MPC (2022) et de la MFR (2020) ont été indexés afin d’obtenir une mesure pour 2023. Le revenu disponible est composé des prestations d’aide financière de dernier recours (2023), du crédit d’impôt pour la solidarité (Juillet 2022 à Juin 2023), du crédit d’impôt pour la TPS/TVH (Juillet 2022 à Juin 2023), de l’Allocation canadienne pour enfants (Juillet 2022 à Juin 2023) et de l’Allocation famille (2023). Les valeurs de la MPC et de la MRV sont celles pour Montréal. La famille monoparentale est composée d’un parent et d’un enfant de moins de 6 ans ne faisant pas l’objet d’une garde partagée. Source : Calculs de l’auteur. Statistique Canada, Seuils de pauvreté provisoires pour 2022 pour les régions de la MPC. Institut de la statistique du Québec, Seuils du faible revenu selon la MFR. Institut de recherche et d’information socio-économique, Le revenu viable 2023: dans la spirale de l’inflation et des baisses d’impôt.

La situation s’améliore pour une famille de référence, composée de deux adultes et deux enfants, notamment en raison des allocations familiales plus importantes. Le revenu disponible d’une famille de référence dont les deux adultes sont prestataires du programme d’aide sociale (sans contrainte temporaire à l’emploi) couvre 75% du seuil de la mesure de panier de consommation, 63% du seuil de la mesure de faible revenu et 49% du seuil de la mesure de revenu viable. Le revenu disponible d’une famille de référence prestataire du programme de revenu de base, quant à lui, couvre 108% de la MPC, 91% de la MFR et 71% de la MRV.

Figure 3. Revenu disponible des prestataires de l’aide financière de dernier recours en proportion des seuils des principales mesures de pauvreté, famille de référence, 2023

Notes : Les seuils de la MPC (2022) et de la MFR (2020) ont été indexés afin d’obtenir une mesure pour 2023. Le revenu disponible est composé des prestations d’aide financière de dernier recours (2023), du crédit d’impôt pour la solidarité (Juillet 2022 à Juin 2023), du crédit d’impôt pour la TPS/TVH (Juillet 2022 à Juin 2023), de l’Allocation canadienne pour enfants (Juillet 2022 à Juin 2023) et de l’Allocation famille (2023). Les valeurs de la MPC et de la MRV sont celles pour Montréal. La famille de référence est composée d’un enfant de moins de 6 ans et d’un enfant âgé de 6 à 17 ans. Source : Calculs de l’auteur. Statistique Canada, Seuils de pauvreté provisoires pour 2022 pour les régions de la MPC. Institut de recherche et d’information socio-économique, Le revenu viable 2023: dans la spirale de l’inflation et des baisses d’impôt.

Un portrait saisissant

La prise en compte de différentes mesures de pauvreté permet une meilleure appréciation de la situation de précarité dans laquelle évoluent les prestataires des programmes d’assistance sociale au Québec. On constate qu’à l’exception de certaines familles prestataires du Programme de revenu de base dont le revenu disponible atteint le seuil de la MPC, les programmes d’aide de dernier recours ne permettent pas, dans l’ensemble, d’atteindre les seuils des principales mesures de pauvreté, autant pour une personne seule que pour une famille monoparentale ou un couple avec enfants. 

Le portrait est particulièrement saisissant lorsqu’on compare le revenu disponible de ces prestataires à la mesure de revenu viable qui établit le seuil de revenu jugé nécessaire pour se rapprocher d’une sortie réelle de la pauvreté. À la lumière de cette analyse, aucun des programmes d’aide financière de dernier recours ne permet une sortie de la pauvreté.

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