En panne de mobilité: les inégalités en matière de transport au Québec

Publié le 5 juin 2025

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Mise en contexte

La mobilité est un besoin essentiel qui conditionne notamment l’accès à l’emploi, à l’éducation, aux soins de santé et à la vie sociale. Elle influence directement la qualité de vie des personnes et leur capacité à participer pleinement à la société. Toutefois, l’accès aux moyens de transport — qu’ils soient individuels ou collectifs — demeure inégalement réparti au sein de la population. Cette disparité renforce les inégalités sociales et territoriales. Ainsi, les obstacles à la mobilité ne se résument pas à de simples obstacles pratiques : ils participent activement à la reproduction des inégalités socioéconomiques.

Principaux constats

  • Dans les quartiers les plus défavorisés, l’accès à certains services essentiels est restreint. Les lieux d’emploi, les établissements de soins de santé et les espaces verts y sont proportionnellement moins nombreux. Par exemple, seules 11 % des zones fortement défavorisées comptent un établissement de soins de santé, comparativement à 40 % des zones les plus favorisées[1].
  • Ces disparités dans la distribution des services génèrent des besoins supplémentaires en matière de mobilité pour les personnes vivant dans les quartiers plus défavorisés.
  • Or, ces disparités se reflètent aussi dans l’accès au transport en commun : plus d’une zone très favorisée sur quatre (27 %) comprend au moins un arrêt de transport collectif, contre seulement 11 % des zones très défavorisées sur le plan matériel.
  • Dans plusieurs régions, le manque d’infrastructures de transport en commun restreint fortement les options de mobilité disponibles. En milieu urbain, 82,9 % des personnes habitent à moins de 500 mètres d’un arrêt de transport en commun. En milieu rural, cette proportion chute à 14 %.
  • L’accès au transport en commun varie également en fonction de certaines caractéristiques sociodémographiques. En milieu urbain, les personnes ayant un plus faible revenu habitent en plus forte proportion près d’un arrêt de transport en commun que les personnes à revenu élevé (84,5 % contre 79,1 %). En milieu rural, c’est toutefois le contraire : les personnes à faible revenu sont proportionnellement moins nombreuses à avoir un accès pratique au transport en commun (13,7 % contre 14,6 %).
  • L’accès aux infrastructures de transport peut avoir une incidence importante sur la durée des déplacements vers le travail. La proportion de la population ayant une durée de navettage de plus de 45 minutes est d’ailleurs nettement plus élevée chez les personnes immigrantes (19,6 %) et la population des minorités visibles (21,0 %) que dans la population générale (13,9 %).
  • L’insuffisance des infrastructures de transport en commun en dehors des grands centres urbains contraint les populations moins nanties à dépendre davantage de l’automobile, ce qui génère des dépenses de transport plus élevées. Alors que 20,9 % de la population des deux premiers quintiles de revenu (les 40 % les plus pauvres) utilisent généralement le transport en commun pour se déplacer entre leur domicile et leur lieu de travail dans la RMR de Montréal, cette proportion chute à 0,9 % hors des grands centres urbains.
  • Les femmes font face à des défis de mobilité particuliers, car leurs habitudes de déplacement diffèrent de celles des hommes. Cette situation se reflète notamment dans un taux d’immobilité plus élevé chez les femmes.

Accès aux services essentiels et défavorisation

Dans les quartiers les plus défavorisés, l’accès à certains services essentiels est restreint, ce qui pose des défis majeurs en matière de mobilité.  Bien que certaines institutions publiques comme les bibliothèques ou les écoles primaires et secondaires soient relativement bien réparties sur l’ensemble du territoire, l’accès à d’autres services essentiels varie significativement en fonction du degré de défavorisation matérielle des quartiers.

Note méthodologique

Les données présentées à la Figure 1 proviennent du croisement entre la Base de données des mesures de proximité 2021 de Statistique Canada et l’Indice de défavorisation matérielle et sociale du Québec 2021 produit par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Chaque îlot de diffusion – la plus petite unité géographique du Recensement, regroupant en moyenne de 400 à 700 personnes – a été associé au quintile de défavorisation matérielle de son aire de diffusion. L’indice de défavorisation matérielle repose sur trois indicateurs, soit la proportion de personnes sans diplôme d’études secondaires, le taux d’emploi et le revenu moyen des ménages.

On observe notamment une distribution inégale des lieux d’emploi, des établissements de soins de santé et des espaces verts. Par exemple, seules 7 % des zones fortement défavorisées disposent d’au moins un parc, comparativement à 12 % dans les zones les plus favorisées. De même, les établissements de santé sont près de quatre fois plus nombreux dans les zones très favorisées que dans celles qui sont très défavorisées (40 % contre 11 %).

L’accès à l’emploi est aussi inégal : 65 % des zones très favorisées comptent au moins un lieu d’emploi, contre seulement 50 % des zones très défavorisées[2]. Ce constat rejoint les conclusions d’une étude de l’École d’urbanisme de l’Université McGill, qui révèle des écarts marqués dans l’accessibilité aux emplois pour les populations vulnérables dans 11 grandes villes canadiennes[3]. L’étude souligne que des infrastructures de transport insuffisantes aggravent les inégalités socioéconomiques en limitant les opportunités d’emploi de ces populations.

Ces disparités dans la distribution des services génèrent des besoins supplémentaires en matière de mobilité pour les personnes vivant dans les quartiers plus défavorisés. Or, ces disparités se reflètent aussi dans l’accès au transport en commun : plus d’une zone très favorisée sur quatre
(27 %) comprend au moins un arrêt de transport collectif, contre seulement 11 % des zones très défavorisées sur le plan matériel.

Figure 1. Proportion d’îlots de diffusion où on retrouve des services essentiels selon le niveau de défavorisation matérielle, Québec, 2021

En panne de mobilité - Figure 1

Source: Analyse de l’Observatoire québécois des inégalités basée sur la Base de données des mesures de proximité de Statistique Canada et l’Indice de défavorisation matérielle et sociale du Québec de l’Institut national de santé publique du Québec.

Accès au transport en commun sur le territoire québécois

Dans plusieurs régions, le manque d’infrastructures de transport en commun restreint fortement les options de mobilité disponibles. En effet, l’accès pratique au transport en commun varie significativement sur le territoire québécois. En milieu urbain, 82,9 % des personnes habitent à moins de 500 mètres d’un arrêt de transport en commun. En milieu rural, cette proportion chute à 14,0 %.

On constate que la population habitant certaines régions du Québec dispose d’un accès beaucoup plus limité que d’autres aux infrastructures de transport en commun. Certaines régions présentent un accès particulièrement limité : c’est le cas des agglomérations (AR) de recensement de Salaberry-de-Valleyfield et de Sorel-Tracy, où moins de 10 % des résidents vivent à proximité d’un arrêt de transport en commun. À titre comparatif, cette proportion atteint 85,8 % dans la RMR de Montréal.

Figure 2. Proportion de la population à moins de 500 mètres d’un arrêt de transport en commun selon le lieu de résidence, Québec, 2024

En panne de mobilité - Figure 2

Note: Une agglomération de recensement (AR) est formée d’une ou plusieurs municipalités voisines regroupées autour d’un noyau urbain comptant au moins 10 000 habitants. Une région métropolitaine de recensement (RMR) est similaire à une AR, mais avec un noyau urbain plus grand : elle doit compter au moins 100 000 habitants, dont au moins 50 000 dans le noyau urbain central.
Source: Tableau 23-10-0313-01 de Statistique Canada.

L’accès pratique au transport en commun varie également en fonction de certaines caractéristiques sociodémographiques. Les personnes de 65 ans et plus (78,1 %), les personnes locataires (88,6 %) et celles habitant dans un immeuble d’appartement, les personnes vivant seules (83,7 %), les personnes immigrantes (90,7 %) et les populations des minorités visibles (91,7 %) sont proportionnellement plus nombreuses à habiter à moins de 500 mètres d’un arrêt de transport en commun.

Les personnes vivant dans un logement mobile (47,5 %) et les personnes déclarant avoir une identité autochtone (68,9 %) sont, quant à elles, proportionnellement moins nombreuses à avoir un accès pratique au transport en commun.

Figure 3. Proportion de la population à moins de 500 mètres d’un arrêt de transport en commun selon certaines caractéristiques sociodémographiques, Québec, 2024

En panne de mobilité - Figure 3

Source: Tableau 23-10-0313-01 de Statistique Canada.

En milieu urbain, les personnes ayant un plus faible revenu habitent en plus forte proportion près d’un arrêt de transport en commun que les personnes à revenu élevé (84,5 % contre 79,1 %). En milieu rural, c’est toutefois le contraire : les personnes à faible revenu sont proportionnellement moins nombreuses à avoir un accès pratique au transport en commun (13,7 % contre 14,6 %).

Figure 4. Proportion de la population à moins de 500 mètres d’un arrêt de transport en commun selon certaines caractéristiques sociodémographiques, Québec, 2024

Figure 4

Source: Analyse de l’Observatoire québécois des inégalités basée sur le tableau 23-10-0313-01 de Statistique Canada.

Une durée du navettage plus longue pour les personnes immigrantes et les minorités visibles

L’accès aux infrastructures de transport peut avoir une incidence importante sur la durée du navettage, soit la durée habituelle du déplacement d’une personne vers son lieu de travail.

L’analyse des données du Recensement 2021 permet d’identifier certaines caractéristiques sociodémographiques qui sont associées à des durées de navettage plus longues. Alors que 13,9 % de la population des personnes de 15 ans et plus en emploi ont une durée de navettage habituelle de plus de 45 minutes, cette proportion est nettement plus élevée chez les personnes immigrantes (19,6 %) et les personnes ayant le statut de résident non permanent (21,9 %), de même que chez la population des minorités visibles (21,0 %).

La durée de navettage varie également en fonction du lieu de résidence.  Elle est notamment plus élevée pour les personnes habitant dans les régions métropolitaines de recensement (RMR) de Montréal (17,7 %) et de Gatineau (14,7 %) que dans les RMR de Québec (6,8 %), de Sherbrooke et Trois-Rivières (6,6 %) ou ailleurs au Québec (11,4 %).

Figure 5. Proportion des personnes ayant une durée de navettage de plus de 45 minutes selon certaines caractéristiques sociodémographique, Québec, 2021

Figure 5

Note: Pour les personnes âgées de 15 ans et plus, dans les ménages privés, qui avaient un emploi ou étaient absentes de leur emploi ou de leur entreprise pendant la semaine du dimanche 2 mai au samedi 8 mai 2021, et qui ont déclaré avoir un lieu habituel de travail ou ne pas avoir d’adresse de travail fixe.
Source: Analyse de l’Observatoire québécois des inégalités basée sur le fichier de microdonnées à grande diffusion du Recensement 2021.

La dépendance à la voiture comme facteur d’appauvrissement

La dépendance à l’automobile pour les déplacements quotidiens peut contribuer à l’appauvrissement d’une partie de la population, en particulier hors des grands centres urbains.

Le transport occupe une part plus importante du budget des personnes à faible revenu. Les ménages du premier quintile de revenu (les 20 % les plus pauvres) y consacrent 15,6 % de leur revenu, contre 9,8 % pour les ménages du cinquième quintile (les 20% les plus riches).

Figure 6. Part du revenu disponible consacrée au transport selon le quintile de revenu du ménage, Québec, 2021

En panne de mobilité - Figure 6

Source: Analyse de l’Observatoire québécois des inégalités basée sur le tableau 11-10-0223-01 de Statistique Canada.

L’Institut de recherche et d’information socioéconomique (IRIS) a calculé le revenu nécessaire pour atteindre un niveau de vie digne et sans pauvreté, le revenu viable, pour 33 localités différentes dans 7 territoires du Québec[4]. Il ressort de cet exercice que, contrairement aux attentes, le revenu viable est souvent plus élevé hors des grands centres urbains. Bien que les coûts liés au logement y soient généralement moindres, les coûts de transport, eux, sont généralement plus élevés. Cela s’explique par le fait que les personnes habitant ces localités sont dépendantes de l’automobile pour leurs déplacements quotidiens.

Dans l’ensemble du Québec, les personnes à faible revenu sont proportionnellement plus nombreuses à recourir au transport actif ou au transport en commun pour se déplacer entre leur domicile et leur lieu de travail. Par exemple, 15,0 % des personnes dont le revenu du ménage se trouve dans le premier quintile de revenu après impôt (les 20 % les plus pauvres) utilisent généralement le transport en commun pour le navettage, contre seulement 6,0 % chez les personnes du cinquième quintile (les 20 % les plus riches).

Figure 7. Principal mode de transport pour la navette selon le quintile de revenu du ménage, Québec, 2021

Figure 7

Note: Pour les personnes âgées de 15 ans et plus, dans les ménages privés, qui avaient un emploi ou étaient absentes de leur emploi ou de leur entreprise pendant la semaine du dimanche 2 mai au samedi 8 mai 2021, et qui ont déclaré avoir un lieu habituel de travail ou ne pas avoir d’adresse de travail fixe.
Source: Analyse de l’Observatoire québécois des inégalités basée sur le fichier de microdonnées à grande diffusion du Recensement 2021.

La situation diffère toutefois hors des grands centres urbains. Alors que 20,9 % de la population des deux premiers quintiles de revenu (les 40 % les plus pauvres) utilisent généralement le transport en commun pour se déplacer entre leur domicile et leur lieu de travail dans la RMR de Montréal, cette proportion fond à 0,9 % chez les personnes habitant hors des grands centres urbains. Au contraire, la proportion de la population moins nantie qui utilise l’automobile pour se rendre au travail passe de 67,5 % dans la RMR de Montréal à 88,7 % hors des grands centres urbains.

Figure 8. Principal mode de transport pour la navette au sein de la population des deux premiers quintiles de revenu (les 40 % les plus pauvres) selon le lieu de résidence, Québec, 2021

Figure 8

Note: Pour les personnes âgées de 15 ans et plus, dans les ménages privés, qui avaient un emploi ou étaient absentes de leur emploi ou de leur entreprise pendant la semaine du dimanche 2 mai au samedi 8 mai 2021, et qui ont déclaré avoir un lieu habituel de travail ou ne pas avoir d’adresse de travail fixe.
Source: Analyse de l’Observatoire québécois des inégalités basée sur le fichier de microdonnées à grande diffusion du Recensement 2021.

L’insuffisance des infrastructures de transport en commun en dehors des grands centres urbains contraint les populations les moins nanties à dépendre davantage de l’automobile, ce qui génère des dépenses de transport plus élevées.

Des défis de mobilité particuliers pour les femmes

L’organisme Accès transports viables a récemment publié une analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle (ADS+) du réseau de transport de la Ville de Québec[5]. Cette étude met en lumière des défis spécifiques en matière de mobilité auxquels sont confrontées les femmes.

Les femmes présentent en effet des habitudes de déplacement différentes de celles des hommes, liées notamment à leur charge domestique plus importante, à des revenus généralement plus faibles et à un sentiment d’insécurité plus prononcé. Leurs déplacements, souvent plus complexes, se caractérisent par des chaînes de trajets multiples, atypiques, effectués en dehors des heures de pointe, et impliquent fréquemment la prise en charge d’autres personnes. Or, selon Accès transports viables, le réseau de transport en commun de Québec ne répond pas adéquatement à ces réalités. Cette inadéquation pourrait s’expliquer en partie par la sous-représentation des femmes et des populations vulnérables dans les domaines de l’urbanisme et du transport.

Cette situation se reflète notamment dans un taux d’immobilité élevé chez les femmes. À Québec, 17,6 % des femmes n’ont effectué aucun déplacement lors de la journée de référence de la dernière enquête origine-destination, comparativement à 14 % des hommes. Cette tendance est encore plus marquée chez les aînées, dont 37 % étaient immobiles, contre 28,7 % chez leurs homologues masculins.

Conclusion

Cette analyse révèle des écarts importants dans l’accès à la mobilité selon le territoire, le niveau de revenu, le genre et d’autres caractéristiques sociodémographiques. Ces inégalités se manifestent de manière tangible : que ce soit dans la proximité des services essentiels, l’accès au transport en commun ou les habitudes de déplacement.

Les personnes vivant en milieu rural ou dans les quartiers les plus défavorisés, les femmes, les personnes immigrantes et les membres des minorités visibles sont, de manière générale, plus susceptibles de faire face à des contraintes importantes en matière de transport. Ces contraintes peuvent notamment se traduire par un accès réduit à l’emploi, et par des dépenses en transport plus importantes liée à la dépendance à l’automobile.

Ces constats soulignent l’importance d’élaborer des politiques publiques en matière de transport qui soient sensibles aux inégalités sociales et territoriales, et qui tiennent compte de la diversité des réalités vécues à travers le Québec.

[1] Une zone réfère à un îlot de diffusion, soit la plus petite unité géographique du Recensement. Voir la note méthodologique pour plus de détails.

[2] Un lieu d’emploi est défini comme un emplacement où des emplois sont offerts, basé sur des données provenant du Registre des entreprises.

[3] Robbin Deboosere et Ahmed El-Geneidy (2018). « Evaluating equity and accessibility to jobs by public transport across Canada », Journal of Transport Geography, 73, pp. 54-63.

[4] Guillaume Tremblay-Boily (2025). Le revenu viable hors des grands centres, Montréal, Institut de recherche et d’information socioéconomique.

[5] Accès transports viables (2024). Le réseau structurant et la mobilité à Québec : Une analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle

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