Thème: Économie
Publié le 3 juillet 2024
L’Observatoire québécois des inégalités a tenu la troisième édition de son événement annuel, le 3 avril 2024, sur le thème « Forum patrimoine et santé : comment réduire les inégalités de richesse au Québec? ». Objectif : mobiliser des savoirs issus de la recherche, de la pratique professionnelle et de l’expérience vécue autour d’enjeux que posent les inégalités de patrimoine et de pistes de solution qui favorisent une répartition plus équitable de la richesse au Québec.
Ce billet retrace huit moments clés du Forum patrimoine et santé à travers les présentations, les panels ou les échanges en atelier qui s’y sont déroulés. L’événement a permis de revenir sur les connaissances produites tout au long du projet sur le patrimoine et les inégalités sociales de santé mené en 2023-2024 avec le soutien du ministère de la Santé et des Services sociaux. Cette journée s’est tenue à la suite de la publication de trois notes d’analyse : 1) un portrait des inégalités de patrimoine au Québec, 2) un tour d’horizon de l’influence du patrimoine sur les inégalités sociales de santé et 3) un regard sur l’endettement et l’accès au crédit au Québec.
Que retenir de ce forum à la riche programmation qui a rassemblé quelque 130 personnes issues de milieux variés ?
- Au-delà de l’argent, la possession de patrimoine procure de la sécurité et du pouvoir
Les inégalités de patrimoine désignent des disparités en matière d’accumulation de richesse (immobilier, placements, fonds de pension, etc.), mais aussi d’accès au crédit et d’accès à la propriété. Le patrimoine d’une famille ou d’une personne correspond à la valeur qui lui resterait si elle liquidait tous ses biens et remboursait ses dettes.
La possession de patrimoine influence tous les domaines de la vie, dont la santé et le bien-être. Pourquoi? Parce que la sécurité et la stabilité que procure la détention de patrimoine permettent de faire face plus facilement aux imprévus, de faire des projets, de faire des investissements, d’avoir plus de contrôle sur ses conditions de vie (p. ex., choisir son lieu de résidence), entre autres capacités et avantages[1]. Et ces avantages peuvent se transmettre de génération en génération.
- La richesse n’est pas toujours celle que l’on croit
Le patrimoine (ou richesse) ne se trouve pas toujours là où l’on pense, soit dans les biens matériels (argent, meubles, bijoux, vêtements, œuvres d’art, automobiles, bateaux, etc.). Un panéliste a attiré l’attention sur le « patrimoine sensible », c’est-à-dire ce qui donne du sens à la vie et représente un investissement pour le bien-être. Son témoignage complet est disponible ici. Ce genre de richesse n’est cependant mesuré par aucun indicateur, et demeure donc invisible.
Autre type de richesse dont on prend conscience quand elle vient à se détériorer, la santé. À partir de son expertise du vécu, une panéliste a partagé sa lecture des obstacles à l’accumulation de patrimoine et de leur enchaînement.
Plusieurs personnes participant à la journée estiment nécessaire de changer de vision de la richesse en prêtant davantage attention au patrimoine collectif (les biens communs) ou même en remettant en question l’économie de marché considérée comme une cause profonde des inégalités socioéconomiques.

Crédit : Camille Gladu-Drouin
- Il faut avoir les moyens pour épargner
L’épargne est un des moyens d’accumuler du patrimoine. Or la capacité d’épargne dépend en grande partie du niveau de revenu. Lorsque les revenus se situent en dessous des seuils de pauvreté, comme c’est le cas pour la plupart des prestataires de l’assistance sociale, la possibilité de faire des économies semble illusoire.
Une panéliste œuvrant dans un organisme de défense des consommateurs a rappelé que cela demande de l’ingéniosité de faire beaucoup avec peu et que c’est avant tout l’insuffisance des revenus qui empêche de faire des économies. De façon consensuelle, il apparaît nécessaire de soutenir jusqu’au niveau du revenu viable, qui s’approche d’une sortie de la pauvreté. Il est aussi suggéré de financer un programme d’éducation financière via un fonds alimenté par les institutions bancaires.
- Les formules collectives d’habitation : une solution pour la santé et l’environnement
La propriété d’un logement, quant à elle, apparaît hors de la portée des personnes à faible revenu aux dires de personnes vivant elles-mêmes de la pauvreté ou intervenant auprès de celles-ci.
Dans un contexte de crise du logement et d’accès difficile à la propriété, quelles formules de logement seraient propices à la santé? Les solutions discutées ont mis de l’avant le développement de logements à but non lucratif (ou hors marché), qui constituent un patrimoine collectif offrant une meilleure abordabilité et favorisant la santé. Les coopératives, de logements locatifs ou de propriétaires, sont des formules d’habitation qui permettent de mutualiser des services et d’économiser de l’espace et de l’énergie, et ainsi de réduire les risques environnementaux.

Crédit : Camille Gladu-Drouin
- Des solutions existent pour atténuer l’exclusion financière
Le crédit fait partie intégrante du fonctionnement de notre société, mais il demeure largement inaccessible à certaines catégories de personnes. D’un côté, la difficulté à rembourser ses dettes est une source de stress qui peut entraîner une spirale de problèmes; d’un autre côté, ne pas pouvoir emprunter d’argent limite la réalisation de projets (études, propriété immobilière, entrepreneuriat, etc.).
L’importance d’une information indépendante d’intérêts privés a été soulignée, de même que celle d’une offre préférentielle de produits financiers adaptés aux réalités de personnes ayant des revenus modestes.

Crédit photo : Camille Gladu-Drouin
- Les inégalités de patrimoine sont amplifiées à la retraite
Les inégalités de richesse sont particulièrement criantes au moment de la retraite :
- Certaines personnes ont accumulé de l’épargne tout au long de leur carrière (régimes de pension offerts par l’employeur, régimes enregistrés d’épargne-retraite – REER –, fonds enregistrés de revenu de retraite – FERR, etc.) et ont vu leurs investissements fructifier (p. ex., hausse de la valeur des résidences).
- D’autres ont perçu un revenu insuffisant pour faire des économies substantielles ou n’ont pas pu travailler un nombre suffisant d’heures.
Aux yeux de plusieurs personnes participant aux discussions, il convient d’agir sur la sécurité du revenu ainsi que sur l’accessibilité des services publics. D’autre part, deux voies permettent de hausser les prestations de retraite : la bonification du régime public et/ou l’incitation des employeurs à offrir de meilleurs régimes de retraite.

Crédit : Camille Gladu-Drouin
- Et si la richesse était imposée au même titre que le revenu?
La fiscalité est un puissant levier de réduction des inégalités socioéconomiques. Des pistes concrètes ont été avancées pendant le forum pour une meilleure redistribution de la richesse :
- Relever de 50 % à 100 % la part imposable des gains faits sur la vente d’actifs (comme des actions ou un immeuble) avec certaines exceptions. Notons que le gouvernement fédéral a annoncé le relèvement du taux d’inclusion des gains en capital à 66,7%.
- Mieux percevoir la richesse créée par la hausse de la valeur immobilière en imposant (de façon progressive) les gains en capitaux faits sur la vente de la résidence principale. Cela permettrait de faire contrepoids aux nombreuses mesures fiscales en faveur des propriétaires et d’atténuer les inégalités avec les locataires.
L’idée de repenser l’imposition du gain en capital a fait l’objet d’un article d’opinion paru dans La Presse à la suite du forum.
- Il y a une certaine acceptabilité sociale pour réduire les inégalités de richesse
Plusieurs avenues, inspirées de propositions issues de la littérature, ont reçu un fort appui de la part d’un échantillon représentatif de la population québécoise sondée à l’occasion du forum. Le sondage Léger/ Observatoire/ Association pour la santé publique du Québec diffusé en mars 2024 est commenté plus amplement dans ce billet.
L’acceptation sociale est apparue la plus forte (plus ou moins 80 % de répondant·es plutôt ou très favorables) pour les actions concernant la bonification des régimes publics de retraite, l’investissement massif dans la construction de logements à but non lucratif et l’accès à la propriété résidentielle plus facile pour les personnes les moins riches. La mise sur pied d’un impôt sur les fortunes a reçu un appui notable des deux tiers des répondants et répondantes.
Alors que les inégalités de patrimoine se maintiennent à un niveau élevé, le soutien ainsi manifesté représente une occasion d’agir sur un déterminant structurel de la santé.
[1]. Jens Beckert distingue six capacités dans Varieties of wealth: toward a comparative sociology of wealth inequality, Socio-Economic Review, 2023.