Thème: Économie
Publié le 20 novembre 2024
Le Programme de prêts et bourses a pour objectif de permettre aux personnes aux études dont les ressources financières sont insuffisantes de poursuivre des études.
L’un des paramètres les plus importants de ce programme, qui sont définis dans le Règlement sur l’aide financière, est les frais de subsistance. Ceux-ci incluent les frais liés au logement, à la nourriture, aux dépenses personnelles et au transport de la population étudiante. Le montant des dépenses admises pour les frais de subsistance dépend de la situation personnelle de chaque personne aux études, notamment si elle réside ou non au domicile parental, le nombre de mois où elle est aux études et si elle est chef de famille monoparentale.
Dans un contexte de hausse marquée du coût de la vie, l’Observatoire québécois des inégalités s’est questionné si ces montants reflétaient la réalité vécue par la population étudiante. Ces montants permettent-ils de couvrir les dépenses de base de la population étudiante? Et comment se comparent-ils aux principaux seuils de faible revenu?
2. Méthodologie
Afin de répondre à ces questions, l’Observatoire a d’abord brossé un portrait des dépenses de la population étudiante. Les dépenses moyennes de la population étudiante universitaire[1] au Québec ont été obtenues à l’aide d’une enquête sur les conditions financières de la population étudiante[2] élaborée dans le cadre d’une collaboration entre un consortium d’universités québécoises, l’Union étudiante du Québec et le Groupe de recherche en économie publique appliquée, affilié à l’École nationale d’administration publique. L’enquête a permis d’amasser des données auprès de 12 216 étudiants et étudiantes provenant de 13 établissements universitaires[3]. La collecte des données a eu lieu entre le 31 octobre et le 25 novembre 2022. L’échantillon a été pondéré par des statistiques sur la population étudiante tirées du Recensement canadien et de l’Enquête canadienne sur le revenu de Statistique Canada afin qu’il soit représentatif de l’ensemble du Québec. Une analyse des résultats de l’enquête est présentée dans le Rapport sur le financement et l’endettement des étudiant.e.s universitaires du Québec[4].
Les montants des dépenses admises en matière de frais de subsistance prévus dans le Règlement sur l’aide financière pour l’année d’attribution 2022-2023[5] ont ensuite été comparés aux dépenses moyennes de la population étudiante universitaire au Québec de même qu’aux seuils de la mesure du panier de consommation (MPC) et de la mesure de revenu viable (MRV).
La MPC est une mesure de couverture des besoins de base compilée sur une base annuelle par Statistique Canada. Son seuil représente le revenu nécessaire pour se procurer un panier de biens et de services jugés essentiels pour couvrir des besoins de base correspondant à un niveau de vie modeste. Il couvre cinq composantes : l’alimentation, le logement, les vêtements et chaussures, le transport et les autres nécessités. Le seuil varie en fonction de la géographie et du nombre de personnes par ménage. La MPC a été adoptée comme mesure officielle de la pauvreté au Canada en 2019. Les seuils de 2022 de la MPC ont été utilisés pour la présente analyse[6].
La MRV est une mesure du revenu nécessaire pour atteindre un niveau de vie digne et sans pauvreté, au-delà de la seule couverture des besoins de base telle qu’établie par la MPC. Elle est compilée annuellement par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques et son seuil varie en fonction de la géographie et du type de ménage. Elle offre un repère complémentaire à la MPC pour l’analyse des situations de pauvreté dans le continuum des revenus. Les seuils de 2022 de la MRV ont été utilisés pour la présente analyse[7].
3. Portrait des dépenses de la population étudiante au Québec
Selon les données de l’enquête sur les conditions financières de la population étudiante, les étudiants et étudiantes universitaires au Québec dépensent en moyenne 2 400 $ par mois (ou 28 800 $ par année). Le principal poste de dépenses est le logement (29 % des dépenses totales), suivi des frais de scolarité (17 %) et de l’alimentation (16 %).
Ces dépenses varient toutefois en fonction du lieu de résidence. Dans le Rapport sur le financement et l’endettement des étudiant.e.s universitaires du Québec, trois grandes régions sont différenciées : les villes de Montréal et de Québec, considérées comme les grands centres, les régions éloignées, soit le Saguenay—Lac-Saint-Jean, la Côte-Nord, la Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine, le Bas-Saint-Laurent, l’Abitibi-Témiscamingue, le Nord-du-Québec et l’Outaouais, et les autres grands centres, soit l’ensemble des villes et régions non comprises dans les deux autres catégories.
Les personnes aux études vivant en région éloignée sont celles ayant les dépenses moyennes mensuelles les plus importantes (2 415 $ par mois), suivi de celles habitant Montréal ou Québec (2 366 $ par mois) et de celles vivant dans d’autres grands centres (2 329 $).
La part des dépenses occupée par certaines catégories de dépenses varie également en fonction du lieu de résidence. Par exemple, les dépenses liées au logement occupent 30 % du budget des personnes aux études vivant à Montréal ou à Québec contre 29 % chez celles habitant en région éloignée et 28 % chez celle vivant dans les autres grands centres. Les dépenses de transport, quant à elles, représentent 8 % du budget des personnes aux études vivant à Montréal ou à Québec, contre 9 % chez celles des autres grands centres et 10 % chez celles qui habitent en région éloignée.
Tableau 1. Dépenses moyennes mensuelles par sources de dépenses, 2022
Note : au moment de regrouper la population étudiante dans l’une des trois catégories du lieu de résidence, certaines observations ont été retirées de l’échantillon : la population étudiante vivant hors Québec, la population étudiante vivant dans une municipalité ayant moins de 5 occurrences dans l’échantillon, la population étudiante dont les dépenses excédaient 150 000 $ annuellement et la population étudiante n’ayant aucune dépense.
Source : calculs de l’Observatoire basés sur Franck Tchokouagueu et al. (2023).
Figure 1. Dépenses moyennes mensuelles par sources de dépenses, 2022
Note : voir note du Tableau 1.
Source : calculs de l’Observatoire basés sur Franck Tchokouagueu et al. (2023).
Les dépenses moyennes mensuelles de la population étudiante varient également en fonction de différentes caractéristiques sociodémographiques. La figure 2 ci-dessous présente les dépenses moyennes mensuelles selon le lieu de résidence, le statut de citoyenneté, le statut de minorité visible, le statut matrimonial, la langue des études, la situation de handicap, le cycle d’études, l’âge, la présence d’enfants et l’admissibilité à l’aide financière aux études.
On y constate notamment que les dépenses moyennes mensuelles sont plus élevées chez les étudiants et étudiantes internationaux, chez les personnes mariées, celles qui étudient en anglais, celles ayant un handicap, celles qui étudient aux cycles supérieurs, celles ayant entre 35 et 54 ans et celles ayant au moins un enfant à charge ou vivant avec un conjoint.
Forte inflation en 2023
Comme ce fut le cas en 2022, l’année 2023 a été marquée par d’importantes augmentations des prix (hausse de l’Indice des prix à la consommation de 4,5 % sur une base annuelle au Québec)[8]. Ces augmentations ont été particulièrement marquées sur le plan de l’alimentation (8,3 %) et du logement (6,2 %), deux des principaux postes de dépense de la population étudiante. À titre indicatif, des dépenses de 2 400 $ par mois en 2022 correspondent à des dépenses d’environ 2 600 $ en dollars de 2024[9].
Figure 2. Dépenses moyennes mensuelles selon certaines caractéristiques, 2022
Source : calculs de l’Observatoire basés sur Franck Tchokouagueu et al. (2023).
4. Analyse
Le Tableau 2 compare les montants des dépenses admises relativement aux frais de subsistance prévus dans le Règlement sur l’aide financière aux dépenses moyennes de logement, d’alimentation et de transport de la population étudiante universitaire au Québec. Ces montants sont également comparés aux composantes logement, alimentation et transport de la MPC et de la MRV.
On constate que les montants des dépenses admises relativement aux frais de subsistance du Programme de prêts et bourses en 2022 (1 013 $) correspondent à 73 % des dépenses moyennes de logement, d’alimentation et de transport de la population étudiante universitaire au Québec (1 382 $). Ils représentent également 80 % des composantes logement, alimentation et transport de la MPC (1 270 $) et 69 % de celles de MRV (1 461 $).
Tableau 2. Comparaison des dépenses admises à l’aide financière aux études (AFE), des dépenses moyennes de la population étudiante et de certaines composantes de la MPC et de la MRV sur une base mensuelle, 2022
Note : les dépenses admises de l’AFE correspondent aux paramètres de l’année 2022-2023 pour une personne aux études n’habitant pas au domicile parental et n’étant pas réputée y résider. Les composantes de la MPC et de la MRV correspondent à une personne seule vivant à Québec. Des précisions supplémentaires sont fournies en annexe.
Source : calculs de l’Observatoire basés sur les paramètres du Programme de prêts et bourses pour l’année d’attribution 2022-2023, Franck Tchokouagueu et al. (2023), le tableau 11-10-0066-01 de Statistique Canada et Vivian Labrie, Minh Nguyen et Julia Posca (2022).
Figure 3. Comparaison des dépenses admises à l’AFE, des dépenses moyennes de la population étudiante et de certaines composantes de la MPC et de la MRV sur une base mensuelle, 2022
Note : voir note du Tableau 2.
Source : calculs de l’Observatoire basés sur les paramètres du Programme de prêts et bourses pour l’année d’attribution 2022-2023, Franck Tchokouagueu et al. (2023), le tableau 11-10-0066-01 de Statistique Canada et Vivian Labrie, Minh Nguyen et Julia Posca (2022).
Puisque le montant des dépenses admises au regard des frais de subsistance dépend de la situation personnelle de chaque personne, des analyses supplémentaires ont été réalisées pour quatre profils types d’étudiant ou étudiante (voir annexe pour obtenir plus de détails sur la méthodologie) :
- Personne aux études habitant au domicile parental (étudiant ou étudiante chez ses parents);
- Personne aux études n’habitant pas au domicile parental et n’ayant pas d’enfant (étudiant·e seul·e);
- Personne aux études n’habitant pas au domicile parental et ayant le statut de chef de famille monoparentale (étudiant·e avec enfant à charge);
- Personne aux études n’habitant pas au domicile parental et n’étant pas aux études à temps plein, mais ayant le statut d’étudiant réputé inscrit ou étudiante réputée inscrite (étudiant·e réputé·e inscrit·e).
On constate dans le Tableau 3 que les montants des dépenses admises au regard des frais de subsistance du Programme de prêts et bourses en 2022 pour une personne aux études habitant au domicile parental (474 $) ne représentent que 53 % des composantes logement, alimentation et transport de la MPC (898 $) et 46 % de celles de la MRV (1 033 $).
Pour une personne aux études n’habitant pas au domicile parental et n’ayant pas d’enfant, les frais de subsistance (1 013 $) correspondent à 80 % des composantes logement, alimentation et transport de la MPC (1 270 $) et 69 % de celles de la MRV (1 461 $).
Pour une personne aux études n’habitant pas au domicile parental et ayant le statut de chef de famille monoparentale, les frais de subsistance (1 196 $) correspondent à 67 % des composantes logement, alimentation et transport de la MPC (1 797 $) et 63 % de celles de la MRV (1 908 $).
Pour une personne aux études n’habitant pas au domicile parental et n’étant pas aux études à temps plein, mais ayant le statut d’étudiant·e réputé·e inscrit·e, les frais de subsistance (765 $) représentent 60 % des composantes logement, alimentation et transport de la MPC (1 270 $) et 52 % de celles de la MRV (1 461 $).
Tableau 3. Comparaison des dépenses admises à l’AFE et de certaines composantes de la MPC et de la MRV sur une base mensuelle selon le profil type, 2022
Note : les dépenses admises de l’AFE correspondent aux paramètres de l’année 2022-2023. Les composantes de la MPC et de la MRV correspondent à une personne ou à un ménage vivant à Québec. Des précisions supplémentaires sont fournies en annexe.
Source : calculs de l’Observatoire basés sur les paramètres du Programme de prêts et bourses pour l’année d’attribution 2022-2023, le tableau 11-10-0066-01 de Statistique Canada et Vivian Labrie, Minh Nguyen et Julia Posca (2022).
Figure 4. Comparaison des dépenses admises à l’AFE et de certaines composantes de la MPC et de la MRV sur une base mensuelle selon le profil type, 2022
Note : voir note du Tableau 3.
Source : Calculs de l’Observatoire basés sur les paramètres du Programme de prêts et bourses pour l’année d’attribution 2022-2023, Franck Tchokouagueu et al. (2023), le tableau 11-10-0066-01 de Statistique Canada et Vivian Labrie, Minh Nguyen et Julia Posca (2022).
5. Principaux constats
L’analyse permet de constater que les montants des dépenses admises au regard des frais de subsistance du Programme de prêts et bourses ne permettent pas de couvrir les dépenses moyennes de logement, d’alimentation et de transport de la population étudiante universitaire au Québec.
Les disparités sont particulièrement importantes pour les personnes étudiantes avec enfant à charge et les personnes étudiantes réputées inscrites.
Il importe de noter que le logement, l’alimentation et le transport ne constituent que quelques-uns des principaux postes de dépense de la population étudiante. Les autres dépenses telles que l’accès à Internet et la téléphonie, les vêtements ou les dépenses de santé occupent une part importante du budget de la population étudiante, mais ne constituent pas des dépenses admises[10].
Précisons également que cette analyse porte sur les dépenses admises du Programme de prêts et bourses, mais ne couvre pas la question du revenu de la population étudiante. Ce revenu peut être composé de revenus d’emploi, de bourses ne provenant pas du Programme de prêts et bourses du gouvernement du Québec et d’autres transferts gouvernementaux, tels que l’Allocation famille.
Afin de suivre l’évolution de la réalité de la population étudiante et de ses besoins, il apparaît essentiel qu’une enquête sur les dépenses de la population étudiante soit menée de manière périodique. Cela permettrait notamment de documenter les dépenses spécifiques de certains groupes d’étudiantes et étudiants qui ne sont pas couvertes dans les données d’enquête disponibles, par exemple les personnes poursuivant des études professionnelles et collégiales.
Annexe : précisions méthodologiques
Voici quelques précisions quant aux montants présentés au Tableau 2 et à la Figure 3 :
- Dépenses admises AFE: correspond aux montants des dépenses admises au regard des frais de subsistance pour une personne aux études n’habitant pas au domicile parental et n’ayant pas d’enfant en 2022-2023 sur une base mensuelle.
- Dépenses moyennes de la population étudiante: correspond aux dépenses moyennes annuelles des composantes habitation, alimentation et transport pour l’ensemble de l’échantillon en 2022, rapportées sur une base mensuelle.
- Mesure du panier de consommation: correspond aux seuils annuels des composantes logement, alimentation et transport pour une unité familiale composée d’une seule personne vivant dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Québec en 2022, rapportés sur une base mensuelle.
- Mesure de revenu viable: correspond aux seuils annuels des composantes logement, alimentation et transport pour un ménage composé d’une personne seule vivant dans la ville de Québec en 2022, rapportés sur une base mensuelle.
Voici également quelques précisions quant aux montants présentés au Tableau 3 et à la Figure 4 :
Références :
[1] Le Programme de prêts et bourses vise non seulement la population étudiante universitaire, mais également les personnes poursuivant des études professionnelles et collégiales. Aucune base de données concernant les dépenses de ces personnes n’a été repérée. Il est toutefois attendu que les dépenses de logement, d’alimentation et de transport de celles-ci ne diffèrent pas significativement de la population étudiante universitaire.
[2] Franck Tchokouagueu et al. (2023). Rapport sur le financement et l’endettement des étudiant.e.s universitaires du Québec, Groupe de recherche en économie publique appliquée.
[3] Liste des universités participant à l’enquête : Université de Montréal, HEC Montréal, Polytechnique Montréal, École nationale d’administration publique, Université de Sherbrooke, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Université du Québec à Chicoutimi, Université du Québec à Trois-Rivières, École de technologie supérieure, Université TÉLUQ, Université Laval, Université du Québec à Rimouski et Université du Québec à Montréal (École des sciences de la gestion).
[4] Franck Tchokouagueu et al. (2023). Rapport sur le financement et l’endettement des étudiant.e.s universitaires du Québec, Groupe de recherche en économie publique.
[5] Le Programme de prêts et bourses a fait l’objet d’une bonification temporaire liée à la pandémie de COVID-19 lors des années d’attribution 2020-2021, 2021-2022 et 2022-2023. Puisque cette bonification était extraordinaire et ne reflète pas une année type, elle a été exclue de l’analyse.
[6] Tableau 11-10-0066-01 de Statistique Canada.
[7] Vivian Labrie, Minh Nguyen et Julia Posca (2022). Le revenu viable 2022 en période de crises multiples, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques.
[8] Institut de la statistique du Québec, Indice des prix à la consommation (tableau 3880).
[9] Banque du Canada, Feuille de calcul de l’inflation.
[10] Certaines dépenses qui ne constituent pas des frais de subsistance sont considérées, dans des situations précises, comme des dépenses admises, telles que les frais d’intérêts pour l’achat d’un micro-ordinateur ou certains frais médicaux, mais les montants prévus sont minimes.