Le revenu d’emploi des parents est-il affecté par la naissance d’un enfant?

Publié le 17 novembre 2023

Le prix Nobel d’économie a été décerné cette année à Claudia Goldin pour ses travaux portant sur l’évolution de la place des femmes sur le marché du travail et leurs revenus. La professeure de l’Université Harvard a notamment démontré qu’aux États-Unis, l’écart de revenus entre les hommes et les femmes survient en grande partie à la naissance du premier enfant. Qu’en est-il au Québec? Observe-t-on un écart de revenus lié à la parentalité? En est-il de même pour les hommes et les femmes? 

 

Une pénalité de revenus liée à la maternité

Les disparités salariales entre hommes et femmes sont bien documentées. Au Québec, l’écart de revenu médian annuel entre les sexes était de 6 400 $ en 2021 (1). Les différences de revenus entre les parents et les individus sans enfant sont, quant à elles, moins souvent étudiées. Elles n’en demeurent pas moins importantes.

Dans une étude publiée en en 2018, Marie Connolly, Marie Mélanie Fontaine et Catherine Haeck ont mobilisé l’Enquête sociale générale (ESG) et l’Enquête longitudinale et internationale des adultes (ELIA) de Statistique Canada afin de dresser un état des lieux sur les écarts de revenus entre les parents et les femmes et hommes sans enfant au Québec et dans le reste du Canada (2)

Les autrices de l’étude ont conclu qu’en moyenne, les mères québécoises n’ont pas un revenu d’emploi plus faible que les femmes sans enfant. Cependant, une « pénalité liée à la maternité » apparaît lorsqu’une femme a deux enfants et s’accroît lorsqu’une femme a trois enfants et plus. Pour cette dernière, l’écart de revenu est de l’ordre de 10 à 23 %. 

Plusieurs pistes peuvent expliquer l’absence de pénalité pour les mères d’un seul enfant, notamment les multiples stratégies mises en place par ces dernières, par exemple le retard de la maternité, pour éviter les répercussions de la maternité sur leur avancement professionnel (3)

Certains groupes de femmes sont particulièrement touchés par la pénalité liée à la maternité. C’est notamment le cas des femmes sans diplôme universitaire, chez lesquelles l’écart de revenus entre mères et femmes sans enfant serait en moyenne de 9 %, et ce, nul égard au nombre d’enfants. Chez les femmes célibataires ou monoparentales, cette pénalité serait de 11 %.

 

Figure 1. Pénalité liée à la maternité selon différentes caractéristiques, Québec

Source : Calculs de Connolly, Fontaine et Haeck à partir des données de l’Enquête sociale générale de Statistique Canada. 

 

Les autrices se sont également intéressées à la trajectoire des revenus d’emploi des mères au fil du temps. Elles ont d’abord constaté que les revenus des mères avant la naissance de leur premier enfant sont, en moyenne, plus élevés que ceux des femmes sans enfant. Ces revenus connaissent toutefois une baisse substantielle au moment de la naissance du premier enfant. L’écart de revenus entre les mères et les femmes sans enfant est alors de 34,4 %. Cet écart diminue toutefois à 7,4 % si l’on tient compte des prestations d’assurance-emploi, dont celles du Régime québécois d’assurance parentale. 

Cette baisse de revenu se résorbe toutefois relativement rapidement. Après quatre ans, les mères n’ont pas des revenus d’emploi statistiquement différents de ceux des femmes sans enfant et, éventuellement, après 17 ans, elles ont même des revenus plus élevés.

 

Figure 2. Différence de revenus d’emploi entre les mères et les femmes sans enfant, Québec

Année relative à la naissance du premier enfant

Source : Calculs de Connolly, Fontaine et Haeck à partir des données de l’Enquête longitudinale et internationale des adultes 2012 et des fichiers T1 (1982-2013) de Statistique Canada. 

Ce constat peut sembler contradictoire avec le constat précédent concernant l’absence de pénalité liée à la maternité pour les mères ayant moins de deux enfants. Par contre, le constat précédent ne tient pas compte de la dimension temporelle. Si l’on tient compte du temps écoulé depuis la naissance de l’enfant, un écart de revenus est bel et bien observable et ce dernier varie positivement et négativement au fil du temps. 

 

Aucune pénalité liée à la paternité

Alors que les femmes peuvent subir une pénalité de revenus en lien avec la maternité, chez les hommes, la littérature économique fait plutôt état d’un « bonus lié à la paternité ». En effet, au Québec, les hommes ayant des enfants ont en moyenne des revenus d’emploi 15,6 % plus élevés que les hommes sans enfant.

L’étude de Connolly, Fontaine et Haeck révèle toutefois que ce phénomène s’explique par un biais de sélection. En effet, selon les autrices, l’écart de revenu entre les pères et les hommes sans enfant au Québec ne serait pas la conséquence de l’arrivée d’un enfant, mais refléterait plutôt le fait que les hommes ayant de meilleurs emplois et salaires ont plus souvent des enfants. Au Québec, les trajectoires de revenus des hommes seraient peu affectées par la naissance d’un enfant.

 

Des écarts de revenus moins marqués au Québec que dans le reste du Canada

Selon Connolly, Fontaine et Haeck, les écarts de revenus d’emploi entre les mères et les femmes sans enfant sont plus importants dans le reste du Canada. Les mères hors Québec gagnent en moyenne des revenus d’emploi inférieurs de 6,3 % à ceux des femmes sans enfant, et ce, à expérience, heures de travail hebdomadaires et âge égaux. De plus, alors que l’écart de revenus d’emploi entre les mères et les femmes sans enfant se résorbe après 4 ans au Québec, cet écart persiste jusqu’à 12 ans après la naissance du premier enfant dans le reste du Canada. 

 

Figure 3. Pénalité liée à la maternité selon le nombre d’enfants, Québec et Canada

Source : Calculs de Connolly, Fontaine et Haeck à partir des données de l’Enquête sociale générale de Statistique Canada. 

Selon l’étude, il est possible que cette différence s’explique par les politiques familiales mises en place au Québec. Bien que leur analyse ne soit pas causale, les chercheuses suggèrent que les services de garde subventionnés et les congés parentaux plus généreux au Québec aideraient les mères à garder un attachement au marché du travail et un niveau de revenus plus en ligne avec ceux des femmes sans enfant.

 

Des politiques publiques importantes pour le développement des enfants

L’écart de revenus entre les mères et les femmes sans enfant comporte d’importantes implications. En effet, une mère qui gagne moins d’argent disposera de moins de ressources pour soutenir le développement de ses enfants. Selon les résultats de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec, les enfants qui vivent dans un ménage à faible revenu sont moins bien préparés à l’école, notamment sur le plan du langage et des aptitudes cognitives, et ont un rendement scolaire plus faible en moyenne en première année (4)

L’analyse de Connolly, Fontaine et Haeck se concentre sur les revenus d’emploi et, à l’exception des prestations d’assurance-emploi, ne tient pas compte des transferts gouvernementaux. Ces derniers, notamment les allocations familiales, jouent pourtant un rôle essentiel dans l’amélioration des conditions de vie des enfants et de leur famille (5). Additionnées aux mesures de conciliation travail-famille, les mesures d’aide financière aux familles sont déterminantes pour assurer le bien-être et le développement des enfants. 

L’étude de Connolly, Fontaine et Haeck apporte néanmoins un éclairage particulièrement intéressant sur les inégalités en matière d’emploi. Une analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle (ADS+) pourrait brosser un portrait encore plus clair. Par exemple, la prise en compte de variables additionnelles tel que l’origine ethnique aurait le potentiel de mettre en lumière de nouvelles dimensions des inégalités entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les femmes elles-mêmes.

 

Références

(1) Statistique Canada, Enquête canadienne sur le revenu 2021, fichiers maîtres. Adapté par l’Institut de la statistique du Québec. 

(2) Marie Connolly, Marie Mélanie Fontaine, et Catherine Haeck (2018), État des lieux sur les écarts de revenus entre les parents et les femmes et hommes sans enfant au Québec et dans le reste du Canada, Rapport de projet 2018RP-07, Center for interuniversity research and analysis of organizations (CIRANO).

(3) Carmen Bernier et al (2017), La place des femmes dans l’industrie des TI au Québec, TECHNOCompétences et Chaire Claire-Bonenfant de l’Université Laval.

(4) Jean-Pascal Lemelin et Michel Boivin (2007), Mieux réussir dès la première année : l’importance de la préparation à l’école, Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ 1998-2010), vol. 4, fascicule 2, décembre 2007, Québec, Institut de la statistique du Québec, p. 1-12.  

 (5) Geoffroy Boucher (2023), Soutien financier aux familles: le Québec se démarque, Observatoire des tout-petits.

Cet article a été rendu possible grâce à l’appui de Mission Inclusion.
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