L’insécurité alimentaire gagne du terrain au sein de la classe moyenne québécoise

Publié le 4 Décembre 2024

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L’insécurité alimentaire est en hausse au Québec pour une 3e année consécutive. Encore plus préoccupant : l’insécurité alimentaire marginale a légèrement diminué au profit des niveaux d’insécurité alimentaire modérée et sévère qui ont connu une augmentation marquée.

Afin d’approfondir l’étude du phénomène, l’Observatoire québécois des inégalités a demandé à Statistique Canada de croiser certaines variables d’intérêt à partir des données les plus récentes de l’Enquête canadienne sur le revenu (2022). Cet article présente ces données inédites.

 

L’insécurité alimentaire en hausse au Québec

Depuis 2019, le niveau d’insécurité alimentaire est en hausse au Québec. Chez les personnes de plus de 15 ans, il est passé de 10,5 % en 2019 à 14,9 % en 2022. Il s’agit d’une augmentation de près de 50 % en 3 ans. En 2022, c’était plus d’un million de personnes de plus de 15 ans qui étaient en situation d’insécurité alimentaire au Québec. Parmi celles-ci, environ 200 000 étaient en situation d’insécurité alimentaire sévère (voir encadré).

Si on tient également compte des personnes de moins de 15 ans, ce sont 15,7 % de la population du Québec, ou 1 342 000 personnes, qui étaient confrontées à diverses formes d’insécurité alimentaire en 2022.

 

Figure 1. Proportion de la population en situation d’insécurité alimentaire selon le niveau d’insécurité alimentaire, Québec, 2018-2022

Note : Pour les personnes âgées de 16 ans et plus (15 ans et plus en 2022) dans les ménages privés du Québec.

Source : Tableau personnalisé de Statistique Canada tiré de l’Enquête canadienne sur le revenu.

 

Forte progression de l’insécurité alimentaire au sein de la classe moyenne

L’analyse des données par quintile de revenu (voir encadré) révèle la sévérité du phénomène de l’insécurité alimentaire chez les personnes à faible revenu. S’il n’est pas surprenant de constater que le niveau d’insécurité alimentaire varie en fonction du revenu, la figure 2 permet d’en saisir l’ampleur.

C’est toutefois au sein de la classe moyenne que la progression de l’insécurité alimentaire est la plus saisissante. Alors qu’il n’existe pas de consensus concernant la définition de la classe moyenne, on la situe souvent au centre de la distribution de revenu dans la littérature économique.

Et c’est précisément chez les personnes faisant partie du troisième quintile de revenu, soit les personnes se trouvant au centre de la distribution de revenu et qu’on pourrait associer à « la classe moyenne », que l’augmentation de l’insécurité alimentaire a été la plus marquée entre 2019 et 2022. Comme on le voit à la figure 2, le niveau d’insécurité alimentaire est passé de 7,8 % à 17,4 %, soit une augmentation de 122 % (ou 9,6 points de pourcentage). En 2022, c’était 240 000 personnes de la « classe moyenne » qui se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire, dont environ 50 000 en situation d’insécurité alimentaire sévère.

 

Figure 2. Proportion de la population en situation d’insécurité alimentaire selon le quintile de revenu, Québec, 2018-2022

Note : Pour les personnes âgées de 16 ans et plus (15 ans et plus en 2022) dans les ménages privés du Québec.

Source : Tableau personnalisé de Statistique Canada tiré de l’Enquête canadienne sur le revenu.

 

L’insécurité alimentaire atteint un sommet chez les personnes à faible revenu

Chez les personnes dont le revenu se situait parmi le premier quintile, c’est-à-dire parmi les personnes faisant partie des 20 % plus faibles revenus, le niveau d’insécurité alimentaire est passé de 19,9 % en 2019 à 28,2 % en 2022, soit une augmentation de 42 % (ou 8,3 points de pourcentage).

La sévérité de l’insécurité alimentaire chez les personnes à faible revenu s’explique en partie par la hausse marquée du coût de la vie qui a atteint un sommet en 2022. Les dépenses d’alimentation occupant une part plus importante du budget des familles les plus pauvres, celles-ci subissent davantage les effets de l’inflation.

 

Insécurité alimentaire sévère chez les prestataires de l’assistance sociale

Contrairement à la tendance générale, on observe une réduction de l’insécurité alimentaire chez les personnes prestataires de l’assistance sociale entre 2021 et 2022. Ce phénomène pourrait s’expliquer par l’entrée en vigueur du programme de revenu de base, un programme qui se distingue par des prestations jusqu’à 40% plus élevées que celles prévues aux autres programmes d’assistance sociale et par le versement d’une aide financière individuelle, plutôt que par ménage. Ce nouveau programme est entré en vigueur au Québec le 1er janvier 2023, tout juste avant que la période de collecte des données de l’Enquête canadienne sur le revenu ne débute.

Mis à part cette tendance, on constate un niveau d’insécurité alimentaire particulièrement élevé chez les personnes prestataires de l’assistance sociale (37,5 % en 2022). Chez ces dernières, le niveau d’insécurité alimentaire sévère est particulièrement préoccupant, touchant 15,1 % des personnes en 2022.  Ces données appuient une analyse publiée l’an dernier par l’Observatoire qui révélait que les programmes d’assistance sociale ne permettaient pas à leurs prestataires de couvrir leurs besoins de base.

 

Figure 3. Proportion des personnes prestataires de l’assistance sociale en situation d’insécurité alimentaire, Québec, 2018-2022

Note : Pour les personnes âgées de 16 ans et plus (15 ans et plus en 2022) dans les ménages privés du Québec.

Source : Tableau personnalisé de Statistique Canada tiré de l’Enquête canadienne sur le revenu.

 

L’insécurité alimentaire en hausse chez les personnes en emploi

Comme le soulignaient les Banques alimentaires du Québec dans leur plus récent bilan, l’insécurité alimentaire gagne du terrain chez les personnes en emploi. Selon les statistiques compilées par le réseau des banques alimentaires, un ménage sur cinq (20 %) qui bénéficie du dépannage alimentaire a un emploi comme principale source de revenus.

On observe également ce phénomène en analysant les données de Statistique Canada. Sur l’ensemble des personnes de 15 ans et plus qui se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire au Québec en 2022, 75 % avaient un revenu d’emploi.

 

Figure 4. Proportion de personnes ayant un revenu d’emploi sur le total des personnes en situation d’insécurité alimentaire, Québec, 2022

Note: Pour les personnes âgées de 16 ans et plus (15 ans et plus en 2022) dans les ménages privés du Québec.

Source: Tableau personnalisé de Statistique Canada tiré de l’Enquête canadienne sur le revenu

Depuis 2019, le niveau d’insécurité alimentaire chez les personnes ayant un revenu d’emploi est en hausse au Québec. Il est passé de 10,2 % en 2019 à 15,6 % en 2022. Il s’agit d’une augmentation de plus de 50 % en moins de 3 ans. En 2022, c’était près de 800 000 personnes ayant un revenu d’emploi qui étaient en situation d’insécurité alimentaire au Québec. Parmi celles-ci, environ 140 000 étaient en situation d’insécurité alimentaire sévère.

On observe d’ailleurs une augmentation plus marquée des niveaux d’insécurité alimentaire modérée (+57 %) et sévère (+50 %) chez les personnes ayant un revenu d’emploi.

 

Figure 5. Proportion de la population ayant un revenu d’emploi en situation d’insécurité alimentaire, Québec, 2018-2022

Note: Pour les personnes âgées de 16 ans et plus (15 ans et plus en 2022) dans les ménages privés du Québec.

Source: Tableau personnalisé de Statistique Canada tiré de l’Enquête canadienne sur le revenu

 

Une personne locataire sur quatre en situation d’insécurité alimentaire

L’insécurité alimentaire est fortement associée au mode d’occupation du logement. En 2022, plus d’une personne sur quatre (26,2 %) qui était locataire de son logement se trouvait en situation d’insécurité alimentaire, contre 9,2 % chez les propriétaires. Ce constat appuie les résultats d’une analyse réalisée l’an dernier par l’Observatoire démontrant que les ménages propriétaires affichaient un meilleur état de santé que les ménages locataires.

L’analyse des données par mode d’occupation du logement permet également de faire le lien avec la crise du logement qui sévit au Québec. En effet, le prix des logements locatifs connaît une augmentation marquée depuis le printemps 2020, et comme le logement est généralement une dépense incompressible, l’alimentation en subit souvent les contrecoups. L’insécurité alimentaire sévère a d’ailleurs connu une augmentation de 43 % chez les personnes locataires entre 2019 et 2022.

 

Figure 6. Proportion de la population en situation d’insécurité alimentaire selon le mode d’occupation du logement, Québec, 2022

Note: Pour les personnes âgées de 16 ans et plus (15 ans et plus en 2022) dans les ménages privés du Québec.

Source: Tableau personnalisé de Statistique Canada tiré de l’Enquête canadienne sur le revenu

Près d’une personne avec handicap sur cinq en situation d’insécurité alimentaire

Les personnes en situation de handicap sont également plus nombreuses, toutes proportions gardées, à se trouver en situation d’insécurité alimentaire. En 2022, 18,1 % des personnes qui devaient composer avec une incapacité se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire, contre 12,6 % chez les personnes n’ayant pas d’incapacité.

 

Figure 7. Proportion de la population en situation d’insécurité alimentaire selon le statut d’incapacité (handicap), Québec, 2022

Note: Pour les personnes âgées de 16 ans et plus (15 ans et plus en 2022) dans les ménages privés du Québec.

Source: Tableau personnalisé de Statistique Canada tiré de l’Enquête canadienne sur le revenu

 

Agir sur le revenu pour contrer l’insécurité alimentaire

L’insécurité alimentaire se manifeste généralement lorsque les ressources financières à la disposition d’une personne ne permettent pas une alimentation adéquate. C’est pourquoi les experts insistent sur la nécessité d’agir sur le revenu pour contrer cette problématique.

Le Québec dispose d’ailleurs de plusieurs leviers pour s’assurer que l’ensemble de sa population ait un revenu lui permettant de couvrir ses besoins de base, par exemple la fixation du salaire minimum, les allocations pour familles et enfants, les régimes de pension publics et les programmes d’assistance sociale.

 

Pour aller plus loin

Écoutez le webinaire Insécurité alimentaire : aperçu de la situation et solutions durables

Consultez le rapport La faim justifie des moyens de l’Observatoire québécois des inégalités

Consultez le Bilan faim 2024 des Banques alimentaires du Québec

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