Thème: Économie
Publié le 31 janvier 2024
Le Québec fait face à une importante crise du logement. Les données du plus récent Rapport sur le marché locatif publié aujourd’hui par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) font état d’une situation fort préoccupante.
Le taux d’inoccupation – qui indique le pourcentage de logements locatifs vacants dans un lieu donné – atteint des creux historiques dans l’ensemble des régions du Québec. Alors qu’un taux d’inoccupation de 3% indique généralement que le marché locatif est à l’équilibre et que l’offre de logements est suffisante pour répondre à la demande, ce taux était inférieur à 3% dans l’ensemble des 43 centres urbains du Québec où cette statistique a été compilée par la SCHL en 2023.
De manière plus préoccupante encore, une vaste majorité des centres urbains du Québec (74%) affiche un taux d’inoccupation de 1% ou moins. C’est le cas notamment de Québec (0,9%), Rimouski (0,8%), Drummondville (0,5%) et Trois-Rivières (0,4%). D’autres centres urbains, comme Prévost et Sainte-Sophie, affichent même des taux d’inoccupation de 0%.
Cette pénurie de logements exerce une pression à la hausse sur le prix des loyers. Entre octobre 2022 et octobre 2023, le coût du loyer moyen des appartements au sein des centres de 10 000 habitants et plus au Québec est passé de 952$ à 1 022$, soit une augmentation de 7,4%. Dans certaines villes, la hausse du loyer moyen a excédé les 10% en un an. C’est notamment le cas de Shawinigan (+11,7%) et de La Tuque (+ 14,0%).
Figure 1. Taux d’inoccupation, loyer moyen et variation estimative du loyer moyen* des appartements d’initiative privée pour les centres de 10 000 habitants et plus, Québec, 2023
Taux d’inoccupation | Loyer moyen | Variation du loyer moyen 2022-2023 | |
Saguenay | 1,3% | 745 $ | 9,2% |
Drummondville | 0,5% | 838 $ | 5,3% |
Montréal | 1,5% | 1 074 $ | 7,7% |
Gatineau | 1,1% | 1 198 $ | 6,4% |
Québec | 0,9% | 1 002 $ | 4,4% |
Sherbrooke | 1,3% | 919 $ | 9,8% |
Trois-Rivières | 0,4% | 747 $ | 9,8% |
Granby | 0,5% | 961 $ | 9,1% |
Joliette | 1,8% | 850 $ | 7,2% |
Rimouski | 0,6% | 749 $ | 7,3% |
Saint-Hyacinthe | 1,9% | 969 $ | 5,0% |
Shawinigan | 0,7% | 678 $ | 11,7% |
Victoriaville | 1,0% | 745 $ | 10,7% |
Farnham | 1,2% | 885 $ | – |
Gaspé | 1,0% | 703 $ | 9,6% |
La Tuque | – | 518 $ | 14,0% |
Les Îles-de-la-Madeleine | – | 727 $ | 7,4% |
Marieville | 0,7% | 761 $ | 6,3% |
Mont-Tremblant | 0,0% | 841 $ | – |
Montmagny | 0,2% | 686 $ | 6,5% |
Mont-Laurier | 0,8% | 599 $ | 4,7% |
Pont-Rouge | 0,2% | 911 $ | – |
Prévost | 0,0% | 958 $ | – |
Rawdon | – | 958 $ | 4,6% |
Sainte-Adèle | 0,4% | 849 $ | 8,3% |
Sainte-Sophie | 0,0% | 1 132 $ | – |
Saint-Félicien | 1,0% | 838 $ | 5,3% |
Sainte-Julienne | – | 798 $ | – |
Saint-Raymond | 0,6% | 585 $ | – |
Saint-Sauveur | 0,0% | 1 066 $ | – |
Alma | 0,6% | 631 $ | 9,1% |
Amos | 0,9% | 739 $ | 4,4% |
Baie-Comeau | 0,5% | 742 $ | 7,4% |
Cowansville | 1,2% | 870 $ | – |
Dolbeau-Mistassini | 1,0% | 545 $ | 4,0% |
Lachute | 1,1% | 906 $ | 7,6% |
Matane | 1,2% | 600 $ | – |
Rivière-du-Loup | 0,7% | 737 $ | 8,9% |
Rouyn-Noranda | 0,8% | 793 $ | 5,3% |
Sainte-Agathe-des-Monts | 0,7% | 983 $ | 6,3% |
Saint-Georges | 0,5% | 622 $ | 5,9% |
Sainte-Marie | 0,2% | 795 $ | 3,3% |
Sept-Îles | 1,3% | 784 $ | 8,1% |
Sorel-Tracy | 1,0% | 746 $ | 10,2% |
Thetford Mines | 0,7% | 611 $ | 8,9% |
Val-d’Or | 0,4% | 821 $ | 6,7% |
Salaberry-de-Valleyfield | 0,2% | 886 $ | 7,2% |
Québec, centres de 10 000+ | 1,3% | 1 022 $ | 7,4% |
* La variation en pourcentage estimative du loyer moyen est une mesure de l’évolution du marché et est fondée sur les immeubles qui ont fait partie de l’échantillon de l’enquête de la SCHL les deux années.
– Données non disponibles ou de trop faible qualité
Source: Société canadienne d’hypothèques et de logement (2024), Enquête sur les logements locatifs 2023.
Une pression accrue sur les locataires
La crise du logement a une incidence directe sur la qualité de vie des Québécois et Québécoises, tout particulièrement les locataires. Selon les données du recensement de 2021, 25% des locataires au Québec consacrent 30% ou plus de leur revenu aux frais de logement (loyer, électricité, eau chaude, frais hypothécaires, impôt foncier, etc.), contre 10% chez les propriétaires. Près de 1 locataire sur 10 (8,6%) consacre même 50% ou plus de leur revenu à ces frais.
Ce taux d’effort varie également en fonction du revenu. Au Québec en 2021, alors que le revenu médian de l’ensemble des ménages locataires était de 48 400$, il était de 23 800$ chez les ménages locataires ayant un taux d’effort de 30% et plus, et de 9 900$ pour les ménages ayant un taux d’effort de 80% et plus.
Figure 2. Indicateurs en matière de logement selon le mode d’occupation, Québec, 2021
Source : Statistique Canada. Tableau 98-10-0247-01. Recensement de la population 2021.
La pénurie de logements abordables force également plusieurs familles à demeurer dans des logements en mauvais état ou de taille ne correspondant pas à leurs besoins. Toujours selon les données du recensement de 2021, 7,2 % des locataires au Québec résident dans un logement nécessitant des réparations majeures et 6,7% d’entre eux résident dans un logement de taille non convenable.
Une crise aux effets disproportionnés pour certains groupes de la population
L’analyse des ménages ayant des besoins impérieux en matière de logement révèle d’importantes disparités entre différents groupes de la population. Selon Statistique Canada, un ménage a des besoins impérieux en matière de logement s’il vit dans un logement qui ne rencontre pas le seuil d’au moins l’un des indicateurs de qualité (logement ne nécessitant pas de réparations majeures), d’abordabilité (moins de 30% du revenu est consacré aux frais de logement) ou de taille du logement (taille convenable compte tenu des besoins du ménage), et s’il devait consacrer 30% ou plus de son revenu total avant impôt pour payer le loyer médian d’un autre logement répondant à ces trois indicateurs dans sa collectivité.
Selon les données du recensement, 3,7 % de la population du Québec vivait dans un ménage ayant des besoins impérieux en matière de logement en 2021. Cette proportion est toutefois plus élevée chez les femmes (4,0%), les personnes âgées de 65 ans et plus (5,4 %), les immigrants (5,4 %), les résidents non permanents (12,7 %), les minorités visibles (5,7%) et les personnes ne possédant pas de diplôme d’étude secondaire ou un équivalent (7,0 %).
Figure 3. Population vivant dans un ménage ayant des besoins impérieux en matière de logement selon certaines caractéristiques, Québec, 2021
Source : Statistique Canada. Tableau 43-10-0060-01. Recensement de la population 2021.
Certaines personnes qui cumulent plusieurs de ces caractéristiques sociodémographiques sont encore davantage susceptibles de vivre dans un ménage ayant des besoins impérieux en matière de logement. C’est notamment le cas des femmes qui ont un statut de résidence non permanente n’ayant aucun diplôme (19,4%) ou des personnes issues des minorités visibles âgées de plus de 65 ans (11,4%).
Les conséquences multiples de la crise du logement
Dans un contexte de pénurie de logements, où la demande de logements locatifs dépasse largement l’offre, les locataires qui habitent un logement à faible coût sur le marché privé sont d’ailleurs plus à risque d’être évincés de leur domicile par les propriétaires de l’immeuble. Au Québec, les cas d’éviction connus ont plus que doublé en l’espace de 2 ans, passant de 1 525 cas en 2021 à 3 531 cas en 2023 selon les données du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec.
Le manque de logements abordables a également une incidence sur les dépenses de consommation des ménages, car la hausse des loyers implique une diminution du budget pouvant être consacré aux autres besoins de base. En restreignant la part du budget dédiée à l’alimentation, cette problématique peut notamment exacerber l’insécurité alimentaire qui est actuellement en hausse au Québec.
Les conséquences des mauvaises conditions de logement sur la santé mentale et physique ont été largement étayées dans la littérature. Certains groupes de la population sont d’ailleurs particulièrement vulnérables, notamment les enfants, les personnes aînées, les personnes à faible revenu et les personnes disposant de conditions de santé préalables.
L’Observatoire québécois des inégalités va continuer de suivre la situation de près. L’Observatoire publiera d’ailleurs prochainement une note d’analyse qui aborde la question de la propriété immobilière dans le cadre d’un projet explorant le lien entre le patrimoine et les inégalités sociales de santé.