Pourquoi les femmes sont-elles plus vulnérables face aux changements climatiques que les hommes?

Publié le 7 mars 2023

Les changements climatiques ont des répercussions sur tout le monde. Or, la littérature scientifique démontre que les effets sont plus marqués chez certaines populations. C’est l’angle que l’ONU a voulu aborder en développant ses objectifs de développement durable (ODD). Au total, 17 objectifs ont été élaborés dans l’intention de développer une marche à suivre vers un avenir plus durable, mais aussi, plus juste à l’échelle planétaire.

Le 13e de ces objectifs aborde les mesures à mettre en place pour lutter contre les changements climatiques. Le 10e objectif vise la réduction des inégalités, ces dernières ayant tendance à se creuser davantage chez les populations vulnérables confrontées à des crises humanitaires, comme la pandémie de Covid-19 ou encore, lors de catastrophes météorologiques. Parmi les populations vulnérables citées, on retrouve les femmes, au cœur du 5e de ces objectifs: « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». Aborder la lutte contre les changements climatiques et l’égalité des sexes n’est pas nouveau puisque dans bien des recherches, les changements environnementaux doivent être entendus comme une lutte fondamentalement féministe[1-6].

3 cases

 

Dans ce billet, l’objectif sera de cerner plus en détail les effets des changements climatiques sur les inégalités de sexes et de genres, une réalité encore peu connue dans les pays occidentaux et pourtant de plus en plus documentée mondialement. Les exemples choisis permettront de mieux comprendre comment cet enjeu s’articule de manière générale dans le monde. Ce portrait permettra de saisir pourquoi il est primordial de prendre en compte la notion de genre dans les efforts visant une transition écologique équitable et enfin, viser une démarche de développement durable plus juste.

 

Femmes et changements climatiques : un constat alarmant

Le lien qui unit le climat et l’égalité des sexes repose sur le concept de justice climatique, voulant que ce soient ceux qui sont les moins responsables du changement climatique qui en subissent les conséquences les plus graves [7-8]. Ce concept évoque donc l’idée que tout le monde n’est pas touché de la même manière par les dérèglements environnementaux. Dans ce cas-ci, les femmes sont en première ligne face au réchauffement climatique. Selon l’ONU, elles ont 14 fois plus de risque de mourir lors de catastrophes climatiques. Cette statistique peut sembler surprenante, mais trouve pourtant racines dans des données bien réelles. Par exemple, 80% des victimes du cyclone Sidr qui a frappé le Bangladesh en 2007 étaient des filles et des femmes. Lors du cyclone Nargis en Birmanie (2008), c’était 61% des femmes qui représentaient la totalité des décès [9-10]. Comment expliquer ce triste constat?

D’abord, les inégalités sociales déjà existantes sont toujours aggravées en situation de crise. C’est par exemple ce que la pandémie de Covid-19 nous a démontré dans les dernières années. Selon le GIEC, les femmes sont affectées de manière disproportionnée en nombre par rapport aux hommes par les changements climatiques : elles représentent 70% du 1.3 milliard de personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté et 60% de la population mondiale qui souffre de famine. Les changements climatiques engendrent donc un stress économique plus élevé pour les femmes et des répercussions plus importantes sur leurs moyens de subsistance et leur sécurité alimentaire (Belsey-Priebe et al. 2021; Sellers 2016).

Leur résilience moindre aux changements climatiques est aussi étroitement liée à la division du travail et au travail invisible qu’elles effectuent dans leur milieu de vie. Dans de nombreux pays, les rôles sociaux dévolus aux femmes font en sorte qu’elles sont en majeure partie responsables des tâches domestiques et alimentaires (approvisionnement en eau et en bois de chauffage, etc..). À mesure que les impacts des changements climatiques grandissent, le temps alloué à ces tâches peut prendre plusieurs heures quotidiennement. Ces éloignements de plus en plus longs hors du village les rendre plus à risque à subir des agressions de toutes sortes [4].

Dans les milieux ruraux les plus pauvres, les hommes sont souvent amenés à se déplacer dans des centres urbains pour chercher un mode de subsistance alternatif. De ce fait, ce sont généralement les femmes qui restent sur les terres agricoles à prendre soin des champs. Ainsi, on estime, à ce jour, que la production alimentaire des pays non occidentaux dépend entre 60% à 80 % sur le travail des femmes [11-12]. Par contre, elles sont rarement propriétaires et leur rôle d’agricultrice est souvent considéré comme informel, donc sans pouvoir décisionnel [13].

 

Les catastrophes climatiques et la violence envers les femmes

On observe mondialement une augmentation de la violence envers les femmes lors de catastrophes climatiques  [14-15]. Selon le Secrétaire général des Nations Unies, les changements climatiques sont considérés comme étant l’élément le plus à risque de multiplier les conflits. Pour s’en convaincre, on peut par exemple penser à la Syrie, où la guerre civile a succédé à une sècheresse qui a duré près de deux ans [16-17]. On sait statistiquement que les conflits favorisent la violence familiale, les mariages d’enfants, la traite des personnes et les viols envers les femmes [18-19]. Une fois dans les abris et les refuges, le risque perdure, puisque ceux-ci sont bien souvent considérés comme non sécuritaires pour les femmes.

En 2021, 59,1 millions de personnes ont été déplacées par des catastrophes climatiques (IDMC, 2022). C’est trois fois plus que le nombre de déplacés pour les guerres et conflits armés. Pour les femmes, cette statistique s’accompagne d’un important taux de mortalité. D’abord, parce qu’elles ne sont pas prévenues à temps lorsqu’il y a une catastrophe étant souvent tenues à l’écart des réseaux de nouvelles ou encore, n’ayant pas l’alphabétisation nécessaire pour les lire [20]. On ne leur apprend pas à nager ou encore, elles sont quotidiennement éloignées de leur foyer en raison de leurs tâches quotidiennes [9-21-22].

 

Conclusion

En raison des rôles sociaux qui leur sont généralement attribués, les femmes entretiennent un lien privilégié avec leur environnement. Leurs connaissances, savoirs et expériences sur les enjeux climatiques peuvent être extrêmement riches pour la mise en place de solutions d’adaptation au climat. Elles devraient donc jouer un rôle primordial dans l’élan en faveur du développement durable.

À ce jour, bien qu’elles soient les premières à subir les effets des changements climatiques, elles sont sous-représentées dans les instances sur le climat. Par exemple, seules 7 des 110 chefs d’État et de gouvernement ont pris la parole lors de la COP27 de cette année étaient des femmes [23]. Pour éviter de creuser davantage le fossé entre les sexes, mais aussi, afin de diversifier les pistes de solutions pour une meilleure adaptation climatique, il est primordial que les efforts de développement durable s’inscrivent dans un processus de justice et d’égalité envers les femmes de partout à travers le monde.

Enfin, si les effets des changements climatiques sont particulièrement dramatiques dans certaines parties du monde, leurs effets sur les inégalités de genre ne sont pas absents au Québec, bien au contraire. Le prochain billet portera précisément sur ce sujet.

 

Références et notes

[1] Buckingham, S., Ecofeminism in the twenty‐first century. Geographical journal, 2004. 170(2): p. 146-154.

[2] Gaard, G., Ecofeminism. Vol. 21. 1993: Temple University Press.

[3] Gaard, G. Ecofeminism and climate change. in Women’s Studies International Forum. 2015. Elsevier.

 [4] Lawson, M., et al., Celles qui comptent: Reconnaître la contribution considérable des femmes à léconomie pour combattre les inégalités. 2021.

[5] Shiva, V. and M. Mies, Ecofeminism. 2014: Bloomsbury Publishing.

[6] Warren, K.J., K. Warren, and N. Erkal, Ecofeminism: Women, culture, nature. 1997: Indiana University Press.

[7] Larrère, C. Inégalités environnementales et justice climatique. in Annales des Mines-Responsabilité et environnement. 2015. Cairn/Softwin.

[8] Laigle, L., Justice climatique et mobilisations environnementales. VertigO, 2019. 19(1).

[9] Fritz, H., et al. Cyclone Nargis survey in Myanmar’s Ayeyarwady River delta. in AGU Fall Meeting Abstracts. 2008.

[9] Foundation, K. and ARROW, A Scoping Study. Women’s Sexual & Reproductive Health and Rights (SRHS) and Climate Change. What is the Connection? 2015.

 [11] Gaudet, J.d.A. and L. Lafortune, Les grands enjeux des femmes pour un développement durable. 2011: PUQ.

 [12] Gomis, R., et al., Emploi et questions sociales dans le monde: tendances 2020. 2020.

[13] Thingbaijam, L., A. Ghosh, and K. Das, Differential pattern in labour use on male vs female managed farms and its economic consequences: a case study from Manipur, India. Agricultural Economics Research Review, 2019. 32(1): p. 133-142.

[14] Desai, B.H. and M. Mandal, Role of climate change in exacerbating sexual and gender-based violence against women: A new challenge for international law. Environmental Policy and Law, 2021. 51(3): p. 137-157.

[15] Kmeid, P., Climate Change and Violence Against Women: A Threat with No Current Solution. Available at SSRN 4311249, 2022.

[16] Kawakibi, S., Syrie: malgré la débâcle militaire, la renaissance de la société civile. 2020, Carep Paris, October.

[17] Brun, M., Méditerranée–Moyen-Orient: on récolte ce que l’on sème! Confluences Méditerranée, 2019(1): p. 11-15.

[18] Ozcurumez, S., Sexual and Gender-Based Violence and Social Trauma, in Social Trauma–An Interdisciplinary Textbook. 2021, Springer. p. 279-285.

[19] Davis, I., et al., Tsunami, gender and recovery. All India Disaster Mitigation Institute, Special issue of a newsletter for the International Day for Disaster Risk Reduction, 2005(6).

[20] Rena, R., Gender empowerment in Africa: An analysis of women participation in eritrean economy. 2006.

[21] Rahiem, M.D., H. Rahim, and R. Ersing, Why did so many women die in the 2004 Aceh Tsunami? Child survivor accounts of the disaster. International journal of disaster risk reduction, 2021. 55: p. 102069.

[22] Alam, K. and M.H. Rahman, Women in natural disasters: a case study from southern coastal region of Bangladesh. International journal of disaster risk reduction, 2014. 8: p. 68-82.

[23] COP27 Climate Summit Here’s What Happened on Monday at the COP27 Climate Summit, in New York times. 2022.

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