Salaires et revenus : ce que la population québécoise trouve acceptable

Publié le 13 octobre 2021

Le revenu lié à différentes catégories de travailleurs soulève de nombreuses questions dans l’espace public, notamment en matière de revendications pour de meilleures conditions, mais aussi en ce qui concerne l’acceptabilité sociale concernant certains écarts de revenu, ce qui peut informer les actions des gouvernements, syndicats et entreprises.

Un rapport publié récemment par l’Observatoire fait état des perceptions de la population québécoise à l’égard des inégalités de revenu et des inégalités sociales de santé. Celui-ci comprend les résultats de questions de sondage portant sur le revenu de différentes catégories de travailleurs et occupations ainsi que sur le ratio entre le revenu des PDG et des employés d’une même entreprise.

Il a été demandé aux répondants du sondage d’estimer le revenu de plusieurs métiers et occupations, puis de préciser le revenu qu’ils considéraient comme approprié pour ces mêmes occupations. Les résultats de ces deux questions sont présentés avec les revenus réels liés à ces occupations. Puisque le revenu réel des PDG est très variable, il n’est pas indiqué dans la figure, mais il sera analysé plus loin.

Cet exercice s’inspire de sondages tenus dans le cadre du Programme international d’enquêtes sociales (ISSP). Le langage a été adapté au contexte québécois et certaines occupations ont été ajoutées pour enrichir les résultats. Malheureusement, les données les plus récentes au sujet des inégalités, recueillies dans le cadre du sondage de 2019, ne sont pas encore publiées, retardées en raison de la pandémie de la COVID-19. De plus, le Canada s’est retiré du programme quelques années avant que la dernière itération de l’enquête sur les inégalités ait lieu, ce qui empêchera la comparaison éventuelle entre le Québec et le Canada.

Les répondants perçoivent que ce sont les PDG qui font le plus grand revenu, avec une estimation moyenne de plus d’un million dollars. Or, les répondants leur accorderaient plutôt 290 000 $ pour leur travail. Ces résultats constituent l’écart le plus grand entre le revenu perçu et souhaité (une diminution de plus de 70 %). Ensuite, les autres occupations à haut revenu sont également appelées à recevoir des revenus moins importants : des coupes de 28 % pour les médecins généralistes et de 24 % pour les ministres. Toutes les autres occupations sont vues comme sous-payées.

Comparées au revenu réel, les perceptions des répondants semblent parfois très justes et parfois plutôt imprécises. Les répondants ont estimé — en moyenne — le revenu d’un ministre à 177 200 $, ce qui est pratiquement le revenu réel des ministres provinciaux au Québec, dont le revenu s’élève à environ 177 100 $. Or, les mêmes répondants pensaient collectivement que les médecins généralistes font un revenu juste en dessous de 250 000 $ par année, alors que le revenu d’un médecin généraliste à temps plein se situe plutôt autour de 370 000 $ au Québec[1].

Concernant les occupations dont le revenu est plus modeste que celui des PDG, des ministres et des médecins, il est intéressant de noter que la perception du revenu est plus faible que le revenu souhaité. Les répondants estiment donc que toutes ces occupations ne sont pas suffisamment bien payées. Or, dans certains cas, la perception du revenu est plus faible que le revenu réel, notamment dans le cas des enseignants. Leur revenu est perçu comme étant autour de 55 500 $, alors que le salaire réel serait plutôt autour de 69 800 $, ce qui s’approche d’ailleurs du salaire souhaité de 70 600 $. Il en est de même pour les personnes retraitées, dont le revenu est estimé à 26 400 $, mais qui se situe plutôt à 36 200 $, alors que le revenu souhaité est à 38 500 $.

Les occupations dont le revenu perçu est au contraire plus élevé que le revenu réel ont un intérêt particulier, car l’écart de perception peut nuire aux efforts de hausse des conditions salariales ou de prestations. C’est notamment le cas des personnes recevant des prestations d’aide sociale qui vivent seules : si ces personnes sont admissibles à des prestations s’élevant à 9 400 $ sur une base annuelle, les répondants pensent que ce montant est plutôt de 15 000 $. Les répondants souhaitent tout de même que ce revenu soit à 20 200 $, plus du double du montant actuel. Cependant, puisque la population surestime la situation actuelle, elle sera probablement moins encline à exercer une quelconque forme de pression pour que ce revenu soit augmenté.

Revenu brut annuel, souhaite et reel

 

Pour mieux cibler les écarts de rémunération dans une entreprise, les répondants ont estimé le ratio entre la rémunération des PDG (ou la personne la mieux payée d’une entreprise) et le salaire annuel des personnes les moins bien rémunérées.

En moyenne, les répondants ont indiqué penser que les personnes les mieux payées d’une entreprise reçoivent une rémunération 49 fois plus élevée que les personnes les moins bien rémunérées. Si la personne la moins bien rémunérée reçoit le salaire minimum actuel (12,50 $ de l’heure), ce ratio de 49 : 1 correspondrait à une rémunération horaire de 612,50 $ pour la personne la mieux payée. Entre les répondants, les hommes estiment ce ratio plus élevé encore, à 60 : 1, tandis que les femmes l’imaginent un peu plus bas, à 38 : 1.

En 2018, au sein des 30 plus grandes entreprises québécoises cotées en Bourse, le ratio entre le salaire du PDG et la moyenne de la masse salariale de l’entreprise varie entre 8 : 1 et 735 : 1 (donc un salaire de 8 à 735 fois plus élevé pour le PDG)[2]. Au Canada, un ratio moyen de 202 : 1 a été estimé pour l’année 2019[3]. Aux États-Unis en 2019, une analyse similaire montre que ce ratio était en moyenne de 320 : 1 au sein des 350 plus grandes compagnies[4]. Chez les grands patrons du Royaume-Uni, on estime un salaire 115 fois plus élevé que celui des employés typiques[5].

Quant au ratio souhaité, il est en moyenne bien plus faible que celui perçu et plus faible encore que celui en vigueur dans bon nombre d’entreprises québécoises. En moyenne, les répondants souhaitent voir ce ratio s’établir à 18,5 : 1. Seulement 2 des 30 plus grandes entreprises québécoises se trouvent en dessous du ratio souhaité par les sondés[6]. Pour les hommes, le ratio salarial idéal est plus grand, avec une moyenne de 26,5 : 1, tandis que les femmes entrevoient un ratio plus faible, à 10,8 : 1.

Ratios salariaux entre PDG et employes

 

[1] À noter : les données disponibles pour les années les plus récentes ne font pas état du revenu moyen des médecins généralistes, ceci est le revenu annuel d’un médecin généraliste qui travaille à temps plein. Puisque un bon nombre d’entre eux travaillent à temps partiel, il est très probable que ce revenu moyen soit considérablement plus faible que le chiffre utilisé ici. Par exemple, en 2015, le revenu moyen des médecins généralistes était autour de 281 000 $.
Source : Contandriopoulos D. et al. (2018) Analyse des impacts de la rémunération des médecins sur leur pratique et la performance du système de santé au Québec. Rapport de recherche produit dans le cadre de l’action concertée intitulée « Regards sur les modes de rémunération des médecins » financée par le Commissaire à la santé et au bien-être. [EN LIGNE].

[2] Philippe Orfali (2019) « Entreprises québécoises: des PDG payés 100 fois plus que le salaire moyen de leurs employés » publié dans le Journal de Montréal [EN LIGNE]. Consulté le 19 février 2021.

[3] David Macdonald (2021) The Golden Cushion: CEO compensation in Canada. Publié par le Centre canadien de politiques alternatives. [EN LIGNE].

[4] Lawrence Mishel et Jori Kandra (2020) CEO compensation surged 14% in 2019 to $21.3 million: CEOs now earn 320 times as much as a typical worker. Publié par l’Economic Policy Institute. [EN LIGNE].

[5] Rupert Neate (2021) « Top UK bosses are paid 115 times more than average worker, analysis finds » publié dans The Guardian. [EN LIGNE].

[6] Philippe Orfali (2019) Op. cit.

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