Vieillir chez soi: un souhait menacé par la crise du logement

Publié le 1 octobre 2024

La crise du logement a une incidence sur la qualité de vie d’une grande partie de la population, mais certaines catégories de personnes sont touchées plus durement par ses contrecoups. C’est notamment le cas des personnes aînées vulnérables qui éprouvent de plus en plus de difficultés à se loger.

Une pression accrue sur le système de santé

La précarité résidentielle – une combinaison de situations rendant l’occupation d’un logement incertaine, inadéquate ou inabordable – à laquelle font face plusieurs personnes aînées ajoute à la pression sur le système de santé qui est déjà confronté à de nombreux défis liés au vieillissement de la population et à la pénurie de personnel dans le secteur de la santé.

Selon une étude publiée au printemps dernier par la Chaire de recherche Jacques-Parizeau en politiques économiques de HEC Montréal, il faudrait doubler la capacité d’accueil des Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et des Maisons des aînés (MDA) d’ici 2040 pour répondre à la demande croissante en soutien à l’autonomie des personnes aînées. Or, une telle opération représente d’importants coûts pour l’État. Le coût moyen de construction pour une place en CHSLD et en MDA était respectivement de 460 000 $ et de 795 000 $ par place en 2023, auquel s’ajoutent les coûts annuels d’exploitation.

Pour éviter un tel scénario, les auteurs de l’étude avancent qu’il faut effectuer un virage vers les soins à domicile. Vieillir chez soi correspond d’ailleurs au souhait qu’ont exprimé une forte proportion de personnes aînées dans le cadre de l’étude de la Chaire de recherche Jacques-Parizeau, mais la crise du logement pourrait nuire à cet idéal.

Dans un article publié dans la revue Recherches sociographiques en 2021, l’expert en gérontologie sociale Julien Simard invitait les gouvernements à reconnaître que des forces extérieures aux ménages, telle que l’augmentation des prix dans le parc locatif privé, pouvaient influencer négativement la capacité des personnes aînés à vieillir à leur domicile et ainsi compromettre les politiques publiques de soins à domicile.

En pleine crise du logement, de telles « forces extérieures » sont résolument à l’œuvre. Sur le marché locatif privé, les locataires aînés du Québec font face à d’importantes hausses de loyer. Ces loyers évoluent à un rythme plus élevé que les revenus de retraite, souvent stables[1]. Entre octobre 2022 et octobre 2023, le coût du loyer moyen des appartements au Québec est passé de 952 $ à 1 022 $, soit une augmentation de 7,4 %. Dans certaines villes, la hausse du loyer moyen a excédé les 10 % en un an.

La situation risque de continuer à se détériorer dans les prochains mois, alors que la composante liée au logement de l’indice des prix à la consommation (IPC) – un indicateur utilisé pour mesurer l’évolution des prix des biens et services – demeure à un niveau élevé. La variation sur 12 mois des prix du logement atteignait 6,6% en juillet 2024, bien au-delà de l’IPC global (2,3 %).

 

Figure 1. Variation sur 12 mois de l’Indice des prix à la consommation, Québec, 2020-2024

 

Source : Analyses de l’Observatoire québécois des inégalités basés sur le tableau 18-10-0004-01 tiré de l’Indice des prix à la consommation de Statistique Canada.

Selon les données de l’Enquête canadienne sur le logement, au Québec, 18 % des ménages composés de personnes âgées de 65 ans et plus consacraient plus de 30 % de leurs revenus aux frais de logement en 2021, une proportion plus élevée qu’au sein de la population générale (14,7 %). Cette situation est préoccupante, d’autant plus que la moitié des personnes aînées ont un revenu se situant sous le seuil du revenu viable, comme le révélait un rapport de l’Observatoire québécois des inégalités en 2022.

 

Figure 2. Rapport des frais de logement au revenu total des ménages composés de personnes âgées de 65 ans et plus, Québec, 2021

 

 

Source : Analyses de l’Observatoire québécois des inégalités basés sur le Fichier de microdonnées à grande diffusion de l’Enquête canadienne sur le logement de Statistique Canada.

Note : Le total ne correspond pas à 100 %, car le calcul du rapport n’a pas pu être calculé pour 1,1 % de l’univers des ménages sélectionnés (ex : ménages des réserves, logements agricoles, ménages ayant déclaré un revenu total du ménage nul ou négatif).

Une proportion élevée des ménages composés de personnes âgées de 65 ans et plus occupe un logement qui n’est pas jugé comme acceptable, c’est-à-dire qui ne correspond pas aux trois normes établies par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) sur le plan de l’abordabilité, de la taille convenable et de la qualité du logement[2]. Cette situation touchait le quart (24 %) des ménages composés de personnes aînées au Québec en 2021.

Les personnes aînées à faible revenu occupent en plus forte proportion des logements non acceptables. Si l’on sépare les ménages composés de personnes aînées en quintiles, soit en cinq tranches égales classées en fonction du revenu, on constate que près de la moitié (44,5 %) des ménages ayant un revenu se situant dans le premier quintile de revenu (38 000 $ et moins) occupent un logement jugé comme non acceptable.

 

Figure 3. Proportion de ménages composés de personnes âgées de 65 ans et plus vivant dans un logement non acceptable selon le quintile de revenu total du ménage, Québec, 2021

 

Source : Analyses de l’Observatoire québécois des inégalités basés sur le Fichier de microdonnées à grande diffusion de l’Enquête canadienne sur le logement de Statistique Canada.

Cette pression accrue peut ébranler la situation financière globale des personnes aînées. Près d’un ménage composé de personnes âgées de 65 ans et plus sur quatre (24,1 %) ont affirmé qu’il était difficile ou très difficile de répondre financièrement à leurs besoins en matière de transport, de logement, de nourriture, de vêtements et d’effectuer d’autres dépenses nécessaires au 3e trimestre de 2023. Cette proportion a doublé en deux ans (11,9% au 3e trimestre de 2021), témoignant d’une dégradation de la situation financière des personnes aînées.

 

Figure 4. Niveau de difficulté économique rencontré par les ménages composés de personnes âgées de 65 ans et plus, Canada, 2021-2023

 

 

Source : Analyses de l’Observatoire québécois des inégalités basés sur le tableau 45-10-0087-01 tiré de l’Enquête sociale canadienne de Statistique Canada.

Mais ces difficultés ne se limitent pas qu’aux aînés locataires. Plusieurs aînés propriétaires aux revenus limités font face à des hausses de taxes foncières découlant de l’augmentation de la valeur des propriétés sur le marché immobilier. En 2024, la valeur foncière moyenne des maisons unifamiliales a augmenté de 18 % au Québec selon une compilation des rôles d’évaluation foncières des municipalités réalisée par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. Cette augmentation était de 20,3 % en 2023.

 

Figure 5. Taux de croissance annuel de la valeur imposable moyenne uniformisée des résidences unifamiliales, Québec, 2014-2024

 

Source : Analyses de l’Observatoire québécois des inégalités basés sur le tableau 3943 de l’Institut de la statistique du Québec tiré des Sommaires du rôle d’évaluation foncière des municipalités du Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH).

Pour éviter qu’un nombre important de personnes aînées soient contraintes de quitter leur domicile en raison de leur situation financière, il importe de mettre en place des politiques ancrées sur le long terme favorisant le développement de logements abordables et adaptés aux besoins spécifiques des personnes aînées.

Selon le gérontologue social Julien Simard, en l’absence d’une construction massive de logements sociaux destinés aux personnes vieillissantes à faible revenu, seuls les ménages appartenant aux classes sociales mieux nanties seront en mesure de vieillir à domicile dans la prochaine décennie, particulièrement dans les quartiers centraux.

Et la précarité résidentielle vécue par les personnes aînées pourrait engendrer d’importants coûts pour le système de santé. L’accès à un logement adéquat et abordable constitue un déterminant majeur de la santé, en particulier chez les aînés vulnérables.

Cet article a été produit en collaboration avec l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR).

[1] Selon une étude récente de l’Observatoire de la retraite, au Canada, environ 45 % des participants à des régimes de prestations déterminées cotisent à des régimes ne prévoyant aucune indexation au coût de la vie, alors qu’ils sont 20 % à cotiser à un régime prévoyant une indexation intégrale selon l’IPC.

[2] Selon Statistique Canada et la SCHL, un ménage occupe un logement non acceptable lorsque le logement nécessite des réparations majeures (qualité non convenable), qu’il ne compte pas un nombre suffisant de chambres pour répondre aux besoins du ménage (taille non convenable) ou que les frais de logement sont égaux ou supérieurs à 30 % du revenu total avant impôt du ménage (inabordable).

Partager la publication

S’abonner à l’infolettre de l’Observatoire

Les inégalités vous interpellent? Abonnez-vous à notre infolettre pour ne rien manquer des publications et événements de l’Observatoire.

Ampoule en 3D sur un rectangle sur fond jaune