Publié le 30 juin 2021
Les inégalités sont devenues un sujet contemporain de préoccupations. Il est de plus en plus admis qu’elles nuisent à la mobilité sociale, à la croissance économique et à la vie démocratique. Certaines conséquences de ces inégalités se sont manifestées au grand jour avec la crise sanitaire liée à la COVID-19 ; les personnes les moins nanties ont dû se tourner vers des aides gouvernementales, alors que les mieux nanties ont pu accumuler de l’épargne.
Il est à craindre que ce contexte produise des effets à long terme sur les inégalités économiques, mais aussi sur les inégalités sociales et de santé. Or, certains groupes – comme par exemple les personnes à faible revenu ou occupant un emploi à bas salaire, les femmes ou les personnes immigrantes – étaient déjà touchés différemment avant la pandémie.
Ce portrait présente un survol pancanadien des inégalités de revenu, ainsi que leur distribution selon diverses caractéristiques telles que le sexe, l’âge, le statut matrimonial et les types de famille, le niveau de scolarité, le statut d’immigration, la source principale de revenu ou la région de résidence. Véritable arrêt sur image de l’année 2017, ce rapport se base sur des analyses statistiques, à plusieurs égards inédites, exploitant des données brutes, ainsi que sur différentes mesures (indice de Gini, indice de Palma, mesure de faible revenu et mesure du panier de consommation).
La première section du rapport présente un survol des inégalités de revenu dans les provinces canadiennes. La deuxième section se penche plutôt sur la façon dont les inégalités de revenu se distribuent selon différentes caractéristiques. Il s’en dégage un état de situation en 2017 qui est mis en perspective avec la littérature scientifique. Ce portrait trace également la voie à des analyses intersectionnelles.
L’Observatoire tient à remercier Emploi et Développement social Canada pour son soutien financier
Survol pancanadien des inégalités de revenu
Deux mesures des inégalités
Les inégalités de revenu individuel selon l’indice de gini
En 2017, l’indice de Gini pour le revenu individuel du marché s’établissait à 0,57 pour l’ensemble du Canada, soit un niveau important d’inégalités. Il diminue toutefois à 0,48 lorsque les transferts gouvernementaux sont pris en compte et à 0,44 après déduction des impôts. Une des limites de l’indice de Gini est qu’il dresse un portrait général de l’inégalité à tous les niveaux de revenus et ne capte pas bien, par exemple, ce qu’il se passe aux extrémités de la distribution des revenus. D’où l’intérêt de recourir à l’indice de Palma.
Les inégalités de revenu individuel selon l’indice de palma
En 2017, l’indice moyen de Palma au Canada pour le revenu individuel du marché était de 7,5. Autrement dit, considérant le revenu avant impôt, les 10% mieux nantis gagnaient 7,5 fois plus que les 40% plus défavorisés. Il diminue toutefois à 3 lorsque les transferts gouvernementaux sont pris en compte et à 2,3 après déduction des impôts.
Les transferts gouvernementaux sont à l’origine de plus ou moins deux tiers de la réduction des inégalités de revenu selon les provinces. Ils paraissent plus efficaces comme facteur de réduction des inégalités de revenu que la progressivité de l’impôt au regard des données examinées. Toutefois, l’imposition permet de maintenir des services publics de qualité et de financer les transferts sociaux.
Comparaison des inégalités de revenu des individus et des ménages
Avec l’indice de Palma comme avec l’indice de Gini, les inégalités calculées avec les revenus familiaux ajustés sont inférieures à celles calculées avec les revenus individuels. Ainsi, la mise en commun des revenus des membres d’un ménage et le partage des dépenses diminuent significativement les inégalités de revenu entre les moins nantis et les plus aisés.
Distribution intragroupe des inégalités de revenu au québec et au canada
Si des inégalités de revenu existent entre certains groupes de la population, elles s’observent toutefois aussi à l’intérieur même de ces groupes. Ces inégalités fractionnent les groupes sociaux et témoignent de l’augmentation de situations hétérogènes, malgré que ces personnes partagent des caractéristiques communes.
Les inégalités de revenu apparaissent ainsi plus prononcées chez les célibataires ou les personnes vivant seules, les femmes, les jeunes, les personnes sans diplôme et les résidents temporaires. Ce sont d’ailleurs les mêmes sous-groupes qui sont en général davantage touchés par la pauvreté.
Différences selon le sexe : les femmes plus inégales entre elles
Les inégalités de revenu du marché sont très prononcées entre les femmes : les 10% femmes les plus riches gagnent 9,3 fois plus que les 40% femmes les plus pauvres au Québec. Les inégalités sont moins prononcées parmi les hommes, avec un indice de Palma à 4,6.
Les mesures redistributives, comme les transferts gouvernementaux et l’impôt, réduisent davantage les inégalités de revenu pour les femmes que pour les hommes. Il est ainsi possible d’y voir, entre autres, l’effet positif des prestations pour enfants sur le revenu des mères. Ainsi, au Québec, les inégalités entre femmes passent de 9,3 avec le revenu du marché (avant impôt) à 1,8 pour le revenu disponible (après transferts et impôt).
Âge : inégalités entre jeunes et entre personnes aînées
Au Québec comme au Canada, les 10% jeunes les plus riches (16 à 30 ans) perçoivent un revenu environ trois fois supérieur à celui des 40% jeunes les plus pauvres. Le faible revenu est aussi plus fréquent pour cette catégorie d’âge : près de 12% au Québec et 14% au Canada des 16-30 ans ont un revenu qui se situe en dessous du seuil de faible revenu calculé selon la mesure du panier de consommation (MPC).
Ces constats sont toutefois à mettre en parallèle avec la surreprésentation des jeunes dans le travail atypique qui, tout en offrant de la flexibilité, est aussi source de précarité, ainsi que leur surreprésentation dans l’emploi moins qualifié. Il faudrait également tenir compte des trajectoires scolaires des jeunes qui travaillent tout en étudiant.
Pour les personnes âgées de 60 ans et plus, les inégalités de revenu du marché s’élève à 26 au Québec et à 18 au Canada. Pour la plupart retraitées, ces personnes sont nombreuses à avoir des revenus de marché nul. Les transferts gouvernementaux font d’ailleurs chuter le Palma à 1,8 pour le Québec et à 2,2 pour le Canada. Quant au prélèvement de l’impôt, il fait diminuer les indices respectivement à 1,4 et à 1,8.
Pour aller plus loin en ce qui concerne les personnes aînées, consultez notre rapport bien vieillir au québec
Statut matrimonial et types de famille
La réduction de la taille des ménages et le vieillissement de la population ont entraîné une croissance importante des ménages composés d’une personne. Ils représentaient le tiers des ménages au Québec et plus du quart au Canada en 2016. La composition des ménages s’est également modifiée avec la « montée du mode de vie en solitaire ».
Les inégalités entre les femmes séparées, divorcées ou veuves sont très marquées pour le revenu du marché avec un indice de Palma de 47 contre 10 pour les hommes du même statut matrimonial au Québec.
Selon la MPC, 15,6% des personnes célibataires au Québec vivaient sous le seuil de faible revenu en 2017. Au Canada, ce taux grimpe à 16,5%. Par contre, au regard de la mesure du faible revenu, ce sont plutôt les personnes séparées, veuves ou divorcées qui étaient 34% à vivre sous le seuil de pauvreté en 2017, soit un taux trois fois plus élevé que celui des personnes mariées ou vivant en union libre.
Niveau de scolarité : inégalités au sein d’un même niveau
Le niveau de scolarité figure parmi les caractéristiques qui contribuent le plus aux inégalités de revenu. Les inégalités apparaissent importantes non seulement entre les peu scolarisées et les très scolarisées, mais aussi entre personnes d’un même niveau de scolarité. Faire des études peut mener à des situations d’emploi fort diversifiées selon le niveau d’adéquation entre les qualifications et le poste occupé.
Ainsi, les 10% plus riches personnes sans diplôme gagnent près de trois fois plus que les 40% plus pauvres non diplômées au Canada, et près de deux fois plus au Québec.
Toutefois, si les individus sans diplôme sont moins inégalitaires entre eux au Québec qu’au Canada, ils présentent des taux de faible revenu un peu plus élevés dans la province. Ainsi, au Québec, 12% des personnes sans diplôme vivent en dessous du seuil de faible revenu selon la mesure du panier de consommation. Pour ce qui est de la mesure du faible revenu, le taux est de 28% pour les personnes sans diplôme, puis passe à 16% pour celles possédant un diplôme d’études secondaires, à 12% pour celles ayant un diplôme postsecondaire et à 10% pour les détenteurs et détentrices d’un diplôme universitaire.
Statut d’immigration
Il est documenté que les personnes immigrantes sont surreprésentées au bas de la répartition des revenus, ont un taux de chômage plus élevé et sont plus affectées par les ralentissements de l’activité économique.
Chez les personnes ayant un statut de résident non permanent, la somme des revenus du marché des 10% les plus riches est 16 fois supérieure à celle détenue par les 40% plus pauvres au Québec, et 11 fois au Canada. Après transferts et impôt, les indices diminuent respectivement à 2,4 et 2,6.
En croisant le statut d’immigration, le sexe et le niveau de scolarité, il apparaît que l’indice de Palma du revenu du marché au Québec grimpe à 36,3 pour les femmes et à 20,4 pour les hommes ayant un statut de résident temporaire et titulaires d’un diplôme postsecondaire ou universitaire.
Sources de revenu : les disparités du travail autonome
Les sources de revenu comprennent cinq catégories : salaires et traitements, revenu d’un travail autonome, transferts gouvernementaux, revenus de placements et les autres revenus. Ici, nous distinguerons les deux revenus d’emploi (salaires et travail autonome) et regrouperons les autres sources.
Les inégalités sont les plus marquées pour les individus dont la principale source de revenu provient d’un travail autonome. Les 10% des personnes ayant les plus hauts revenus provenant d’un travail autonome gagnent trois fois plus que les 40% ayant les plus bas revenus. Cela peut s’expliquer par le fait que les revenus du travail autonome sont plus dispersés, c’est-à-dire qu’ils se composent davantage de revenus négatifs et de très hauts revenus, comparativement aux revenus provenant de salaires et traitements.
Les individus vivant d’un travail autonome ont des conditions de travail et des revenus fort hétérogènes selon qu’ils font des affaires depuis longtemps, selon la profession exercée, selon le capital accumulé (comme des biens immobiliers) ou encore selon leur niveau de protection sociale.
En 2017, le taux de faible revenu selon la MPC s’élevait à près de 16% pour les personnes dont la principale source de revenu provient d’un travail autonome au Québec et à près de 17% au Canada.
Région de résidence : l’angle territorial des inégalités de revenu
Bien que les inégalités de revenu selon la région de résidence soient un peu moins présentes au Québec qu’au Canada, elles sont comparables avec celles observées dans l’ensemble du pays, quelle que soit la mesure de l’inégalité utilisée.
Considérant le revenu après impôt, l’inégalité mesurée par le Palma est similaire entre individus résidant en zone rurale et entre individus habitant en zone urbaine. En milieu rural comme en milieu urbain, les inégalités de revenu entre individus sont réduites après le paiement des transferts gouvernementaux et le prélèvement de l’impôt. Cet effet réducteur est davantage prononcé pour les résidents et résidentes des milieux ruraux.