Publié le 1 novembre 2022
Compte-rendu du webinaire organisé par l’Observatoire québécois des inégalités le jeudi 24 novembre 2022
L’Observatoire québécois des inégalités a organisé une table-ronde virtuelle le 24 novembre 2022 afin de réunir diverses expertises autour de la question de l’impact des changements climatiques sur les inégalités sociales.
La table-ronde a réuni Anaïs Houde, co-porte-parole pour la Mobilisation 6600 Parc-Nature Mercier Hochelaga-Maisonneuve, Naomie Léonard, doctorante en études urbaines à l’INRS, Mélissa Mollen-Dupuis, réalisatrice, animatrice de radio et militante pour les droits des Autochtones et Marianne-Sarah Saulnier, chercheuse à l’Observatoire québécois des inégalités.
Un enjeu mondial, transposable à l’échelle locale
Marianne-Sarah Saulnier a entamé la rencontre en présentant les grands enjeux des impacts des changements climatiques sur les inégalités sociales, d’abord à l’échelle mondiale, puis au niveau local. Cette dernière a notamment souligné qu’à ce jour, les recherches portent surtout sur les pays dits « du Sud », car c’est là que les effets néfastes des changements climatiques se font le plus ressentir. Ce qui, selon la chercheuse, explique pourquoi il n’existe que très peu de recherche sur l’impact différencié des changements climatiques en milieu urbain occidental. « Les recherches portent surtout sur l’atténuation des changements climatiques d’un point de vue biologique sur la nature, le côté social a encore peu d’importance dans les médias, et pourtant les recherches scientifiques sont claires, explique la chercheuse à l’Observatoire. Il y a vraiment un lien et c’est important de s’y attarder. »
Des inégalités liées au genre
En effet, les femmes ont 14 fois plus de chances de mourir dans une catastrophe climatique que les hommes. Par exemple, lors du tsunami en Asie du Sud Est en 2004, les décès étaient composés à 80 % de femmes et d’enfants. Selon le GIEC, si les femmes sont affectées de manière disproportionnée par les changements climatiques, c’est d’abord en raison de leur condition économique : à l’échelle mondiale, elles représentent 70 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté et 60 % des personnes souffrant chroniquement de la faim. « On sait aussi qu’elles sont plus affectées par les impacts des changements climatiques en raison de la nature des tâches et des discriminations qui leur sont socialement attribuées », précise Mme Saulnier.
Avant d’ajouter que « les notions de charge mentale, de répartition des tâches, sont des notions qui existent dans les pays du Sud, mais qui existent ici aussi au Canada, au Québec ».
Naomie Léonard, doctorante en études urbaines à l’INRS souligne qu’au Québec, comme ailleurs au pays, les femmes sont surreprésentées dans le domaine du « prendre soin », ou du care. « Que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère publique, on voit que les institutions publiques de « prendre soin » sont tenues à bout de bras par des femmes, puis des femmes racialisées qui plus est, donc tout ça porte atteinte à leur santé globale et à leur santé mentale », développe la chercheuse.
Également, selon les plus récentes données du Baromètre de l’action climatique, les femmes québécoises perçoivent davantage la menace des changements climatiques comme étant une menace à court-terme. « Conséquemment, elles vont vivre des émotions négatives de manière plus prononcée que chez leurs homologues masculins », précise-t-elle.
« La protection de l’eau est souvent identifiée aux femmes autochtones, explique Mélissa Mollen-Dupuis, militante Innue. Parce qu’on considère qu’il y a une rivière millénaire qui coule dans les femmes à travers le cordon ombilical, de génération en génération, puis quand tu remontes cette rivière-là, de ma fille à moi, à ma mère à ma grand-mère à mon arrière-grand-mère tu vas remonter jusqu’à la première grand-mère, qui est la Terre, donc on voit ce lien à l’eau qui est vraiment une responsabilité des femmes. »
Des inégalités dans la ville
« Les inégalités se perpétuent sans même qu’on y réfléchisse », dit la co-porte-parole pour la Mobilisation 6600 Parc-Nature Mercier Hochelaga-Maisonneuve, Anaïs Houde.
La militante ajoute qu’à Montréal, les populations les plus pauvres résident souvent à proximité des usines, des industries polluantes, et en subissent davantage les conséquences que les populations plus fortunées. Ces quartiers, comme celui de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, possèdent moins d’espaces verts et recensent plus d’îlots de chaleur. « C’est très marqué à Montréal, évidemment entre l’Est et l’Ouest. On retrouve à l’Est une plus grande minéralisation, une moins grande canopée, plusieurs sources de pollution, autant atmosphérique que pollution lumineuse, que pollution par le bruit, on les accumule », développe-t-elle.
Pour Mme Houde, ces caractéristiques rendent ces milieux de vie moins résilients pour les populations qui les habitent, notamment face aux événements climatiques. « C’est dans notre quartier qu’il y a eu le plus de victimes lors de la dernière canicule, explique-t-elle. Si on subit des inondations aussi, la sécheresse, les tempêtes, on est très peu résilients tout simplement parce qu’historiquement c’est là où on a mis toutes les choses négatives que le reste de la ville ne voulait pas trop voir ».
Des pistes de solutions concrètes
Pour la doctorante en études urbaines à l’INRS Naomie Léonard, des pistes de solution passeraient par l’accès au logement, la mobilité et l’accès à des transports en commun abordables et de qualité. « Les gens doivent être bien logés pour réduire leur vulnérabilité aux effets des changements climatiques, ça veut dire avoir accès à des logements bien isolés, avec accès aux transports en commun, avec des prix abordables qui ne les empêchent pas d’avoir accès à des aliments de qualité », décrit-elle.
Pour Anaïs Houde, la résilience des populations urbaines face aux changements climatiques doit inévitablement rimer avec la protection des milieux naturels. « C’est en laissant au vivant la place qui lui revient qu’on est capable de faire face ensuite et aux inondations et aux coups de chaleur, au gel, dégel, et à toute autre forme de perturbations, analyse-t-elle. Ce qui est important c’est simplement de déminéraliser de retirer l’asphalte d’avoir des sols perméables d’avoir une canopée la plus grande possible et c’est simplement par là qu’on va pouvoir continuer à vivre en ville, il n’y a pas d’autre option possible. »
Mme Mollen-Dupuis souligne quant à elle que les populations autochtones ne se sont pas fait attendre pour poser des actions concrètes de protection de l’environnement. Elle ajoute que mener des actions de lutte contre les changements climatiques n’est pas chose facile pour des populations qui font face à de nombreux enjeux au pays. « C’est parfois difficile de pouvoir comparer nos luttes dans un contexte de privilège et en plus de rentrer dans un contexte canadien où on est non seulement en train d’essayer de protéger le territoire mais où on doit parler des enfants qui ont été retrouvés dans les pensionnats, des effets des pensionnats, du fait qu’on est surreprésenté dans les systèmes carcéraux, que nos enfants sont pris dans les systèmes de la DPJ plus vite et en plus grand nombre que le reste de la population du Canada, explique-t-elle. Ça fait qu’on a plusieurs paniers remplis de luttes et qu’on est épuisé ».
Recherche et sensibilisation
« En conclusion, récapitule Marianne-Sarah Saulnier, les facteurs de vulnérabilité aux changements climatiques n’ont rien de naturel, ils résultent de décisions d’aménagement et d’inégalités sociales qui se matérialisent sur le territoire. » De nombreuses pistes de solutions existent. Pour la chercheuse, afin de viser une transition écologique plus juste et plus équitable, la création et l’implémentation de politiques publiques devront reposer sur des données fiables qu’il sera nécessaire de récolter et d’interpréter.