À l’heure des objectifs de développement durable

Publié le 7 mars 2023

En 2015, les États membres de l’Organisation des Nations Unies adoptaient 17 objectifs de développement durable (ODD). À l’instar des autres pays, le Canada et le Québec se sont engagés à les atteindre d’ici 2030. Plusieurs de ces objectifs visent la réduction d’inégalités socio-économiques et c’est pourquoi l’Observatoire s’intéressera de près aux stratégies mises en place pour les atteindre, en particulier au Québec.

Le « développement durable » et les ODD : de quoi s’agit-il?

« Ce que nous appelons développement durable est un projet qui concerne l’ensemble des habitants de notre planète. Ce projet comprend trois éléments : une prise de conscience des répercussions de nos actions et des risques qu’elles impliquent, la formulation d’une vision de ce que nous souhaitons pour le futur de la société planétaire et les choix qui conduisent au but souhaité. Nous avons commencé à réagir [1] ».

Au XXe siècle, la notion de développement durable s’imposera graduellement dans la foulée des critiques du modèle de croissance, de progrès, de consommation et de développement économique caractéristique des pays industrialisés.  Ce modèle typique des pays du Nord est réputé entraîner de graves impacts sur l’environnement à l’échelle mondiale : épuisement des ressources naturelles, pénurie d’eau douce, sécheresses, destruction et fragilisation des écosystèmes, déforestation, perte de biodiversité, crise climatique et pollution.  L’on reprochera également à ce même modèle d’affecter la santé et le bien-être des populations, et de créer des inégalités socio-économiques entre les nations et au sein même de ces dernières.

En 1972, le rapport Halte à la croissance?, commandé par le groupe de réflexion Club de Rome, envoie un signal remarqué au sujet de la menace que ferait peser le mode de développement actuel, fondé sur une croissance tout azimut, sur l’environnement et l’avenir à long terme de l’humanité.  Bien qu’elle ne soit pas au cœur du rapport, la question des inégalités y est présente : les auteurs déplorent « les modèles d’inégalité et d’injustice que nous voyons dans le monde aujourd’hui … Sans un effort mondial, les écarts et les inégalités déjà explosifs d’aujourd’hui continueront à se creuser [2] ».

 

Une première définition : le rapport Brundtland (1987)

C’est avec le rapport Brundtland, rédigé en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies, que l’expression développement durable s’institutionnalisera et gagnera en notoriété. Il incarnera la proposition d’un mode alternatif de développement apte à désormais réconcilier le développement économique avec la protection de l’environnement.

Le rapport Our Common future/Un avenir à tous le définit ainsi : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette caractérisation est suivie de précisions sur les termes : (a) « le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité », et (b) « l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir ». La notion de limitations se réfère ici aux limites écologiques de la planète que doit respecter l’activité humaine.  Ainsi, le rapport constitue une prise de position en faveur d’un modèle de développement compatible avec l’équité intergénérationnelle : « les objectifs du développement économique et social sont définis en fonction de la durée, et ce dans tous les pays [3]  ».

 

Une définition évolutive. Trois piliers à concilier : l’économie, le social et l’environnement

Depuis le rapport Brundtland, la définition du développement durable a continué à s’affiner. Ce fut le cas notamment lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, mais aussi en 2002, au Sommet mondial sur le développement durable tenu à Johannesburg. La Déclaration de Johannesburg sur le développement durable évoque trois piliers au cœur du développement durable : « Aussi assumons-nous notre responsabilité collective, qui est de faire progresser et de renforcer, aux niveaux local, national, régional et mondial, les piliers du développement durable que sont le développement économique, le développement social et la protection de l’environnement, qui sont interdépendants et qui se renforcent mutuellement  [4] » (ONU, 2002).

Il est ainsi postulé qu’un modèle de développement durable ne peut s’actualiser sans la prise en compte simultanée des dimensions économique, sociale et environnementale.  Ces dernières ne sauraient être considérées séparément puisque les décisions prises dans l’un de ces domaines a forcément des conséquences sur les autres.  En effet : « Cette intégration est due à la dimension systémique des problèmes devant lesquelles les approches sectorielles sont inefficaces, car en réglant un problème dans un secteur on le transfère à un autre  [5] » (Broadhag, 2009).

 

Un concept qui n’est pas à l’abri de critiques 

Le terme de développement durable est aujourd’hui devenu familier et le cri de ralliement pour opérer un virage sociétal majeur.  Néanmoins, il fait aussi l’objet d’un certain nombre de réflexions critiques depuis quelques décennies. Plusieurs de ces interrogations sont soulevées dans un esprit constructif, afin que la vision portée par le développement durable livre ses promesses, en particulier lorsqu’elle est traduite, et appropriée à l’échelle nationale, en objectifs concrets, en cibles et en indicateurs.

On reproche, par exemple, à la notion de développement durable son caractère polysémique, un auteur ayant en effet recensé plus de 200 définitions [6]  , ce qui vaut à ce terme le qualificatif de « concept mou » [7] .  D’autres estiment que cette expression serait un oxymore, c’est-à-dire alliant deux mots qui se contredisent : la notion de développement serait enracinée dans des pratiques capitalistes et coloniales occidentales (la croissance comme fin en soi) et serait donc antinomique avec toute durabilité[8] . Par conséquent, il faudrait trancher en faveur de la dimension durable pour atteindre les objectifs recherchés : « Il faut mettre la durabilité – et non le développement dit « durable » – au cœur de la transition écologique [9] » .

L’idée des trois piliers du développement durable -économie, environnement et social- n’échappe pas non plus à la critique. D’une part, le paradigme des trois piliers et leur articulation souffriraient globalement d’assises théoriques faibles et d’un manque de clarté [10] . D’autre part, l’on reproche aussi au pilier social de la triade d’être l’objet d’explications vagues et conceptuellement insaisissables [11] . Enfin, certains estiment que les trois piliers devraient en inclure d’autres, et en particulier un pilier culturel [12] .  D’autres critiques de la notion de développement durable peuvent être consultées [13]  .

Les flous et lacunes entourant le concept de développement durable compliqueraient son opérationnalisation et la construction d’indicateurs [14] . Ils faciliteraient également la diffusion d’interprétations concurrentes : « S’il apparaît que le concept de développement durable a effectivement été construit dans une logique coopérative, force est de constater que, tant au niveau local que global, l’appropriation du développement durable par les différents acteurs revêt toutes les formes d’une appropriation compétitive : États, entreprises, ONG, collectivités locales, économistes ou écologistes se réclament aujourd’hui du développement durable sans pour autant en donner une définition et un contenu identiques [15] » .  Aussi, les actions priorisées, et en particulier la sélection de mesures sociales, dépendraient de rapport de forces conduisant à des choix pas toujours fondés sur des raisons scientifiques [16] .

 

Des Objectifs du millénaire pour le développement (2000-2015) aux Objectifs de développement durable (2015-2030)

En 2000, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) sont adoptés à l’ONU par près de 200 États membres et une vingtaine d’organisations internationales. Ces objectifs étaient au nombre de huit, devant être réalisés pour 2015 : l’élimination de l’extrême pauvreté et de la faim ; l’éducation primaire pour tous ; la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes ; la réduction de la mortalité infantile et post-infantile ; l’amélioration de la santé maternelle ; le combat contre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies ; la préservation de l’environnement et la mise en place d’un partenariat pour le développement [17] .

Les références au développement durable étaient peu nombreuses dans la Déclaration du millénaire et le plus souvent associées à son pilier environnement ou encore à l’élimination de la pauvreté dans les pays du Sud.  Ses objectifs s’appliquaient principalement aux pays émergents, d’où la critique de « paternalisme », et le bilan des OMD a été considéré comme un succès mitigé [18] .

En 2015, les Objectifs de développement durable (ODD) prennent le relais des OMD.  L’Assemblée générale de l’ONU adopte le document Transformer notre monde : Le programme de développement durable à l’horizon 2030, document également connu sous le nom d’Agenda 2030. Sa feuille de route propose 17 objectifs s’appliquant à tous les pays, de même que 169 cibles et plus de 200 indicateurs de performance. L’horizon de réalisation des objectifs est fixé à 2030.

Le préambule du document explique que le « programme de développement durable est un plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité … Nous considérons que l’élimination de la pauvreté sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, y compris l’extrême pauvreté, constitue le plus grand défi auquel l’humanité doive faire face, et qu’il s’agit d’une condition indispensable au développement durable. … Nous sommes déterminés à prendre les mesures audacieuses et porteuses de transformation qui s’imposent d’urgence pour engager le monde sur une voie durable, marquée par la résilience. Et nous nous engageons à ne laisser personne de côté dans cette quête collective. Les 17 objectifs [sont] intégrés et indissociables, ils concilient les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale [19]».

Les ODD couvrent une variété de domaines et plusieurs s’attaquent aux inégalités : élimination de la pauvreté et de la faim, égalité entre les sexes, travail décent et réduction des inégalités économiques, sociales et territoriales.

Tuiles de couleur, ODD

 

L’ONU reconnaît une marge de manœuvre nationale pour l’application des objectifs : « Ce Programme a une portée et une importance sans précédent. Il est accepté par tous les pays et applicable à tous, compte tenu des réalités, capacités et niveaux de développement de chacun et dans le respect des priorités et politiques nationales  [20]».

Le Forum politique de haut niveau pour le développement durable de l’ONU, qui réunit annuellement des délégué.es de tous les pays depuis 2015, joue un rôle central pour suivre les progrès réalisés dans la mise en œuvre des objectifs de développement durable et des cibles de l’Agenda 2030. Un cadre d’indicateurs a été élaboré à cette fin par la Commission statistique des Nations Unies, en collaboration avec les États membres, les organisations internationales et la société civile. La plus récente version a été publiée en 2020 [21]. Il est entendu que les États disposent également d’une discrétion pour l’adoption d’indicateurs : « La Commission de statistique a souligné que “ le cadre mondial d’indicateurs était destiné au suivi et à l’examen du Programme 2030 au niveau international, que ces indicateurs ne convenaient pas nécessairement à la situation de chaque pays et que des indicateurs parallèles ou complémentaires permettant d’assurer un suivi aux niveaux régional, national et sous-national seraient définis par les régions et les pays, en fonction des priorités, des réalités, des capacités et de la situation de chaque État » [22] ».

L’accomplissement des résultats attendus dépendra en grande partie des politiques mises en place et des priorités établies par les gouvernements de chaque pays.

[1] Anctil, François et Liliana Diaz, avec la collaboration d’Ariane Gagnon-Légaré (2016). Développement durable : enjeux et trajectoires, 2e édition. Presses de l’Université Lval. Québec.

[2] Club de Rome (1972). The Limits to Growth. (Halte à la croissance?). D. Meadows, J. Randers & W. Behrens, Potomac Associates Book. Notre traduction.

[3] ONU (1987) Report of the World Commission on Environment and Development: Our Common Future

[4] ONU (2002). Déclaration de Johannesburg sur le développement durable.

[5] Brodhag, Christian (2009). Le pilier social du développement durable.

[6] DiBlasio Brochard, Lukas (2011). Le développement durable : enjeux de définition et de mesurabilité. Mémoire de maîtrise. Université du Québec à Montréal.

[7] Boutaud, Aurélien (2005). Le développement durable : Penser le changement ou changer le pansement ? Bilan et analyse des outils d’évaluation des politiques publiques locales en matière de développement durable en France : de l’émergence d’un changement dans les modes de faire au défi d’un changement dans les modes de penser. Sciences de l’environnement. École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne; Université Jean Monnet – Saint-Etienne.

[8] Purvis, B., Mao, Y. and D. Robinson (2018) « Three pillars of sustainability: in search of conceptual origins» Sustainability Science.

[9] Bourg, Dominique (2012). « Transition écologique, plutôt que développement durable ». Entretien avec Dominique Bourg, Vraiment durable 2012/1 (n° 1), pages 77 à 96

[10] Purvis et al (2018), ibid.

[11] Murphy, Kevin (2012) The social pillar of sustainable development: a literature review and framework for policy analysis, Sustainability: Science, Practice and Policy, 8:1, 15-29.

[12] Organisation internationale de la francophonie (OIF) et Institut de la francophonie pour le développement durable (IFDD) (2018).  Francophonie et développement durable: innovations et bonnes pratiquesS. Édition 2018

[13] Escobar, Arturo (2018). Sentir-penser avec la Terre. L’écologie au-delà de l’Occident, Paris, Le Seuil ; Flipo, Fabrice (2022). Le développement durable et ses critiques. Vers la transition sociale et écologique ?, Paris, Bréal, coll. « Thèmes & Débats », 167 p.

[14] DiBlasio Brochard, Lukas (2011), ibid.

[15] Boutaud, Aurélien (2005), ibid.

[16] Murphy, Kevin (2012), ibid.

[17] ONU (2000). Déclaration du millénaire, Résolution adoptée par l’Assemblée générale.

[18] Centre d’étude et de coopération internationale (2015). Des objectifs du millénaire aux objectifs de développement durable. Enjeu électoral au Canada?

[19] ONU (2015). Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 25 septembre 2015.

[20] Idem.

[21] CSNU/Commission de statistique des Nations Unies (2020) Cadre mondial d’indicateurs relatifs aux objectifs et aux cibles du Programme de développement durable à l’horizon 2030

[22] ONU (2017). Commission de statistique Rapport sur les travaux de la quarante-huitième session
(7-10 mars 2017)
.  Conseil économique et social Documents officiels.

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