L’insécurité alimentaire au Québec : comment la réduire durablement?

Publié le 1 novembre 2022

Compte-rendu du webinaire organisé par l’observatoire québécois des inégalités le jeudi 27 octobre 2022.

L’Observatoire a organisé un webinaire sur l’insécurité alimentaire le 27 octobre 2022, à la suite de la publication de son rapport sur le même sujet. « La faim justifie des moyens » se fait notamment l’écho des nombreuses voix qui réclament une stratégie plus globale et plus efficace de lutte contre l’insécurité alimentaire. Selon la consultation menée par l’Observatoire, le spectre de cette lutte doit s’élargir pour inclure non plus seulement des mesures d’atténuation de l’insécurité alimentaire, mais également des objectifs de réduction et de prévention, avec des moyens concrets pour y parvenir.

Le webinaire a réuni des organismes qui oeuvrent en sécurité/insécurité alimentaire ainsi que des organismes qui travaillent sur la pauvreté et le filet social. La mise en commun de leurs diverses expertises et perspectives a mené à de riches échanges convergents. Si les acteurs ici sont principalement montréalais, il est à souhaiter que de telles conversations se répètent dans plusieurs régions du Québec.

 

 

L’insécurité alimentaire touche plus d’un million de personnes au Québec, et d’après les organismes qui œuvrent sur le terrain, les demandes d’aide alimentaire ne font qu’augmenter. Des solutions à court-terme existent et parviennent tant bien que mal à apporter de l’aide aux personnes en situation d’insécurité alimentaire, mais selon certains acteurs clés du milieu communautaire, des solutions structurelles et pérennes, qui passent notamment par une bonification substantielle du filet social, sont à mettre en oeuvre afin de réduire l’insécurité alimentaire de manière durable et significative.

Parmi le million de personnes en situation d’insécurité alimentaire au Québec, près de 700 000 vivent une situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave (quantité ou qualité de nourriture compromise, ou repas sautés). C’est ce que révèle le récent rapport de l’Observatoire québécois des inégalités, publié en septembre 2022. « L’insécurité alimentaire pèse lourdement sur la santé physique et psychologique des adultes et des enfants, sur la qualité de la vie familiale, en plus d’enfreindre leurs droits à l’alimentation et à la dignité », explique le chercheur à l’Observatoire et auteur du rapport, François Fournier.

Le webinaire a rassemblé des acteurs du milieu communautaire : les Banques alimentaires du Québec, le Carrefour solidaire Centre communautaire d’alimentation, le Collectif pour un Québec sans pauvreté, le Conseil du système alimentaire montréalais et Paroles d’excluEs. Ils ont pris la parole pour faire état de la situation actuelle sur le terrain et pour dégager des solutions à long terme afin de réduire durablement l’insécurité alimentaire au Québec.

 

Un problème croissant et un soutien inadéquat

Le directeur des opérations des Banques alimentaires du Québec, Gaël Chantrel, abonde dans le même sens et ajoute que le phénomène touche une partie toujours plus large de la population québécoise. « La frange de la population qui ne cesse d’augmenter d’année en année, ce sont les travailleurs, révèle-t-il. Ils ont un revenu d’emploi, et malgré tout ils ont besoin d’une banque alimentaire. On constatait déjà ça l’année dernière, avant même qu’on commence à parler de la montée de l’inflation qu’on vit actuellement. »

Le directeur général de Paroles d’excluEs, Olivier Bonnet, constate la même tendance, et pour lui, la solution est à trouver sur le long terme. « On voit à Montréal Nord, qui est un quartier défavorisé, qu’on a très peu d’accompagnement à long-terme, les bailleurs de fonds préfèrent financer à projets qu’à mission », regrette-t-il.

Un enjeu lié à la pauvreté

« L’insécurité alimentaire est avant tout un problème de pauvreté, explique Anne-Marie Aubert, du Conseil du système alimentaire montréalais. Un problème de défavorisation matérielle et une question de manque d’argent. » Et la situation est particulièrement critique à Montréal. « À Montréal on a un triste historique d’insécurité alimentaire, même avant la pandémie, ça s’élevait à 14%, ce qui est très élevé pour une ville de la grandeur de Montréal, au regard des autres villes canadiennes. », regrette Mme Aubert.

 

Des solutions à long terme, à mettre en place à court terme…

Pour la porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté, Virginie Larivière, il est nécessaire d’agir sur le revenu des personnes en situation de pauvreté ou à faible revenu. Et donc de viser une amélioration du filet social dans sa globalité. Ainsi, l’une des pistes de solutions passerait inévitablement par une augmentation du pouvoir d’achat des ménages. « C’est une solution structurelle à l’insécurité alimentaire et à la sortie de pauvreté », précise-t-elle.

 

… qui impliquent les pouvoirs publics

Les organismes présents au webinaire de l’Observatoire se sont accordés sur le fait qu’un enjeu central semble être celui de la stigmatisation des personnes en situation de pauvreté. En effet, Mme. Larivière a été la première à souligner qu’une partie de la solution réside dans la lutte contre les préjugés autour de l’aide sociale.  « Le gouvernement peut faire des campagnes sociétales, les diffuser à grande échelle, comme il a fait contre l’alcool au volant, pour le port de la ceinture de sécurité, ou pour lutter contre l’homophobie par exemple », propose-t-elle.

Pour la codirectrice générale de Carrefour solidaire, Sylvie Chamberland, une piste de solution passerait par la législation. « Tant que le droit à l’alimentation ne sera pas reconnu, et ne sera pas un droit judiciable au Canada, de telles inégalités persisteront », estime-t-elle. L’organisme a récemment mis en place la « Carte proximité », projet de coupons d’alimentation locale. Il s’agit d’une carte de paiement rechargeable mensuellement, qui permet à ses détenteurs d’acheter des aliments sains locaux ou provenant d’un circuit court.

Mme Aubert suggère d’impliquer les pouvoirs publics, notamment à l’échelle municipale, à l’instar d’autres villes au pays. « Ce qu’on voit à Montréal, c’est une ville qui est très proactive pour trouver des solutions à l’insécurité alimentaire mais qui n’a pas toujours les leviers à sa disposition donc c’est un acteur à soutenir, à renforcer, et pourquoi pas augmenter sa capacité d’agir », détaille-t-elle. « On peut par exemple penser aux villes qui ont le pouvoir de mettre une taxe sur les boissons sucrées dont les revenus sont réinvestis dans des programmes d’aide à une alimentation saine. » La coordinatrice du Conseil du système alimentaire montréalais ajoute qu’être en situation d’insécurité alimentaire équivaut à une double peine. « Les personnes qui sont en situation d’insécurité alimentaire sont les mêmes personnes qui vont développer des maladies chroniques à cause d’une alimentation de mauvaise qualité, parce que les aliments ultra-transformés sont aussi les moins chers. », précise-t-elle.

 

Une stratégie globale de lutte contre l’insécurité alimentaire

Ainsi, face à l’augmentation constante et préoccupante du nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire, il est plus que jamais nécessaire d’agir en soutenant les organismes qui œuvrent sur le terrain au quotidien, mais aussi de viser une amélioration significative et globale du filet social afin de lutter contre la pauvreté de manière plus large. C’est au moyen d’un travail commun, en créant un canal de communication ouvert et efficace entre les organismes communautaires et les pouvoirs publics que l’on parviendra à une réduction significative et durable de l’insécurité alimentaire au Québec.

Partager la publication

S’abonner à l’infolettre de l’Observatoire

Les inégalités vous interpellent? Abonnez-vous à notre infolettre pour ne rien manquer des publications et événements de l’Observatoire.

Ampoule en 3D sur un rectangle sur fond jaune