Thème: Santé
Publié le 7 mai 2025
Contribution de l’Observatoire québécois des inégalités à la Stratégie nationale de prévention en santé
L’Observatoire québécois des inégalités salue l’initiative du ministère de la Santé et des Services sociaux d’élaborer une Stratégie nationale de prévention en santé. Cette démarche représente une véritable occasion de transformer notre approche face aux enjeux de santé publique et de réduire durablement les inégalités sociales de santé (ISS) qui persistent au Québec.
Le document de réflexion insiste largement et à juste titre sur l’importance de la réduction des inégalités sociales de santé, sur l’impact des déterminants sociaux de la santé et en particulier sur le statut socioéconomique. Notre contribution s’appuiera sur ces éléments afin de proposer trois axes d’intervention pour réduire les inégalités sociales de santé.
- Le gradient social comme outil de priorisation
Les ISS peuvent être étudiées sous l’angle du gradient social, mis au jour par l’épidémiologie sociale. Le gradient social établit la relation entre des écarts de santé et la position sociale[1]. Selon ce gradient, les écarts varient progressivement (augmentent ou diminuent régulièrement selon l’indicateur) selon une hiérarchisation sociale donnée. Il s’observe aussi bien pour la mortalité que pour la morbidité et varie le plus souvent en fonction du revenu ou de la scolarité.
Ce phénomène s’observe à travers de nombreux indicateurs de santé:
- L’espérance de vie en bonne santé varie considérablement selon le revenu : les personnes du quintile supérieur peuvent espérer vivre en bonne santé 6,3 années de plus que celles du quintile inférieur[2].
- La prévalence du diabète suit un gradient clair : 11% des adultes du premier quintile de revenu ont reçu un diagnostic, contre 5 % des adultes des quatrième et cinquième quintiles[3].
Ces écarts ne s’expliquent pas uniquement par des comportements individuels, mais résultent principalement de la distribution inégale du pouvoir, des ressources et des conditions de vie qui influencent la santé.
L’approche par groupes d’âge, telle que développée dans le document de réflexion, est intéressante car elle permet de cibler des interventions spécifiques à chaque étape de la vie. L’introduction de la notion de gradient social, qui traverse tous les groupes d’âge, pourrait favoriser l’adoption d’une approche proportionnellement universelle, permettant de prioriser des interventions selon le niveau de désavantage social tout en offrant des services à l’ensemble de la population.
Deux approches particulières pourraient être incluses dans la stratégie afin de mieux intégrer le gradient social dans la priorisation des interventions. Premièrement, renforcer les mécanismes de participation des communautés marginalisées dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des interventions de prévention. Deuxièmement, incorporer explicitement l’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) dans la collecte et l’analyse des données, la conception des interventions et leur évaluation. À ce titre, des efforts importants ont été consentis pour valoriser les données administratives du gouvernement du Québec. Ces données pourraient sans doute être mieux mobilisées pour la conception, le suivi et l’évaluation des politiques publiques par le gouvernement lui-même, ainsi que par ses nombreux alliés engagés dans la prévention.
- Agir sur le revenu comme déterminant fondamental de la santé
Les recherches en épidémiologie sociale ont clairement établi que le revenu constitue l’un des déterminants les plus puissants de la santé. Il influence directement l’accès aux conditions nécessaires à une bonne santé : logement de qualité, alimentation saine, éducation, services de santé non couverts par le régime public et sentiment de contrôle sur sa vie.
Les personnes à faible statut socioéconomique supportent un « double fardeau[4] » : une surexposition aux stress de la vie quotidienne à laquelle s’ajoute un déficit de ressources protectrices. Cette réalité se traduit par des écarts significatifs dans de nombreux indicateurs de santé, comme nous l’avons évoqué précédemment.
Dans notre mémoire produit à l’occasion des consultations publiques pour le plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, nous avions rappelé que 11,8 % des hommes et 16 % des femmes correspondent à la définition de travailleur à faible revenu au Québec, soit « des personnes âgées de 18 à 64 ans qui ne sont pas des étudiants et qui gagnent au moins 3 000 $ par année, mais dont le revenu après impôt est inférieur au seuil de faible revenu[5] ». Dans une autre analyse nous constations qu’à l’exception de certaines familles prestataires du Programme de revenu de base dont le revenu disponible atteint le seuil de la MPC, les programmes d’aide de dernier recours au Québec ne permettent pas, dans l’ensemble, d’atteindre les seuils des principales mesures de pauvreté, autant pour une personne seule que pour une famille monoparentale ou pour un couple avec enfants[6].
L’amélioration du revenu des personnes nécessite une collaboration intersectorielle avec les ministères responsables des politiques sociales, économiques et fiscales et peut prendre différentes formes : bonification des crédits d’impôt remboursables, augmentation du salaire minimum à un niveau permettant de couvrir les besoins de base, mesures de soutien ciblées pour les groupes particulièrement vulnérables, bonification des programmes d’aide de dernier recours, etc. La réduction des coûts liés aux déterminants de la santé peut également être une avenue stratégique, notamment l’accès à un logement abordable et de qualité.
Enfin, dans le cadre d’un projet de recherche récent, nous avons contribué à identifier les impacts des inégalités de patrimoine sur la santé[7]. Différentes pistes de solution ont été identifiées à l’occasion d’un événement public[8]. L’analyse pourrait être poussée plus loin par le gouvernement en considérant les inégalités de patrimoine dans les politiques publiques, par exemple en ce qui concerne les limites quant à l’accumulation de patrimoine des personnes qui bénéficient de certains programmes sociaux.
- Investir adéquatement dans la prévention
Les investissements en prévention peuvent générer des retours considérables à moyen et à long terme, comme il est souligné à juste titre dans le document de réflexion. Par exemple, des chercheurs nous rappellent que 80 % des maladies cardiovasculaires prématurées et des cas de diabète de type 2, ainsi que 4 cas de cancer sur 10, pourraient être évités en adoptant de saines habitudes de vie[9].
Malgré les bénéfices démontrés des interventions préventives, les investissements fléchés en prévention demeurent bas au Québec. Les augmentations des crédits en santé publique des dernières années sont un pas dans la bonne direction, mais on note un recul de 140 millions de dollars pour 2025-2026, alors que la part du budget de la santé qui revient à la santé publique demeure sous la barre des 2 %[10]. À titre comparatif, les pays de l’OCDE allouaient en 2022 en moyenne 3,4 % de leur dépenses de santé à la prévention. Certains pays, comme le Royaume-Uni, dépassent les 6 %[11]. Rappelons en outre que la santé publique est responsable de la promotion, de la prévention et de la protection en santé, ainsi que de la surveillance de la santé de la population. Par ailleurs, on prévoit injecter environ 15 millions de dollars dans la Stratégie nationale de prévention au cours de la prochaine année[12].
Bien sûr, les efforts en prévention vont au-delà de ces enveloppes plus clairement identifiées. Il serait utile de se doter d’une vue d’ensemble des efforts en prévention et, surtout, de mesurer l’atteinte ou non des cibles et des objectifs de façon transparente et régulière.
L’Observatoire québécois des inégalités, fidèle à sa mission de produire, de mobiliser et de démocratiser des connaissances sur différentes formes d’inégalités au Québec, se tient à la disposition du gouvernement pour approfondir ces réflexions et contribuer à l’élaboration d’une stratégie de prévention qui réponde aux besoins de l’ensemble de la population québécoise.
[1]. Anne Guichard et Louise Potvin (2010). Pourquoi faut-il s’intéresser aux inégalités sociales de santé?, dans Louise Potvin, Marie-José Moquet et Catherine M. Jones (dir.). Réduire les inégalités sociales en santé, INPES, coll. Santé en action, 35-51.
[2]. Statistique Canada. Tableau 13-10-0370-01 Espérance de vie ajustée sur la santé, selon le sexe.
[3]. Outil de données sur les inégalités en santé à l’échelle du Canada. Infobase de la santé / Données des inégalités en santé [En ligne] (Consulté le 25-01-2024).
[4]. Maria De Koninck (2008). Un regard multidisciplinaire sur la construction sociale des inégalités de santé, dans Katherine Frohlich et al. (dir.), Les inégalités sociales de santé au Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 74 et INSPQ (2008). Santé : pourquoi ne sommes-nous pas égaux? Comment les inégalités sociales de santé se créent et se perpétuent, Gouvernement du Québec, 41.
[5] Observatoire québécois des inégalités (2023). Des orientations pour une réduction significative et durable de la pauvreté au Québec. Mémoire à l’occasion des consultations publiques pour le plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
[6] Boucher, Geoffroy (2023). Comment se comparent les programmes d’assistance sociale aux seuils des mesures de pauvreté? Observatoire québécois des inégalités.
[7] Boucher, Geoffroy et Sandy Torres (2024). L’influence du patrimoine sur les inégalités sociales de santé. Observatoire québécois des inégalités.
[8] Torres, Sandy (2024). Le forum patrimoine et santé en 8 moments clés.
[9] Dr Martin Juneau (25 janvier 2022). Saines habitudes de vie : vivre mieux, plus longtemps, TOUGO [En ligne].
[10] Ministère des Finances du Québec (2025). Crédits et dépenses des portefeuilles 2025-2026.
[11] Base de données de l’OCDE sur les dépenses en santé et le financement.
[12] Ministère des Finances du Québec (2025. Pour un Québec fort. Plan budgétaire 2025-2026.