Itinérance et changements climatiques : révéler l’angle mort

Publié le 6 décembre 2023

Il y a une reconnaissance grandissante, au Québec, des impacts différenciés des changements climatiques et des mesures prises pour s’y adapter. Toutefois, certaines populations vulnérables font l’objet d’une attention moindre, particulièrement les personnes en situation d’itinérance[1]. Ces dernières se retrouvent ainsi dans l’angle mort des réflexions climatiques. C’est pourquoi l’Observatoire est fier d’annoncer le début d’un pré-projet en partenariat avec Ouranos, un consortium de recherche en climatologie régionale et en adaptation aux changements climatiques. L’objectif central sera d’étudier la vulnérabilité des personnes en situation d’itinérance vis-à-vis des effets des changements climatiques ainsi que des mesures et plans d’adaptation dans le contexte urbain québécois.

 

Améliorer la protection des personnes vulnérables face à un climat changeant

Les effets des changements climatiques se font déjà ressentir à travers le monde et de manière disproportionnée par les populations vulnérables et déjà marginalisées[2][3], dont les personnes en situation d’itinérance en milieu urbain occidental – un enjeu encore peu documenté, d’où la pertinence de cette courte initiative.

Celle-ci vise à mettre en lumière diverses réalités de l’itinérance en lien avec le climat changeant afin d’ouvrir des pistes de réflexion pour une meilleure prise en compte des répercussions potentielles uniques sur les personnes en situation d’itinérance. L’approche de l’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) ainsi que le cadre de la justice environnementale seront mobilisés afin d’assurer un portrait nuancé et inclusif des impacts différenciés pour ces individus.

 

Le rôle amplificateur du climat sur un phénomène qui s’aggrave

Il est maintenant bien documenté que les changements climatiques exacerbent les inégalités socio-économiques existantes. Considérant que les effets néfastes des changements climatiques vont se faire ressentir de manière de plus en plus marquée au Québec, il est nécessaire de se donner les outils pour s’y adapter de manière adéquate, équitable et juste.

Parallèlement, le Québec est confronté à diverses crises, comme la crise du logement et la hausse du coût de la vie, qui affectent de manière disproportionnée les moins nantis et entraînent une augmentation de l’itinérance ainsi qu’une diversification des visages de l’itinérance. Effectivement, à la suite de l’exercice de dénombrement du 11 octobre 2022, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec estime une hausse de 44% du nombre de personnes en situation d’itinérance visible au Québec depuis l’exercice du 24 avril 2018[6]. Toutefois, en raison de l’incapacité à inclure l’itinérance cachée, ces données n’illustrent pas toute l’ampleur du phénomène de l’itinérance au Québec.

Les différentes ressources existantes en itinérance, offrant un minimum de protection, sont déjà largement débordées, l’augmentation de l’itinérance risque donc de rendre ces personnes encore plus vulnérables aux effets des changements climatiques[8] [9].

 

Un éclairage nécessaire pour guider l’action publique

Le fait de vivre en situation d’itinérance amène son lot d’inégalités, comme des inégalités sociales de santé, socio-économiques et de qualité de vie, qui peuvent ensuite être combinées à des inégalités liées à l’identité de genre, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, la religion, etc.

Les changements climatiques et l’itinérance sont deux enjeux complexes, multifactoriels et dynamiques d’importance au Québec dont les interrelations sont encore peu documentées. Par conséquent, ceux-ci demeurent abordés de manière séparée dans les discours et dans les politiques publiques. Une meilleure compréhension de ces interrelations est nécessaire afin d’engager des actions climatiques bénéfiques pour toutes et tous.

Malgré le manque de connaissances sur ces interrelations, la recherche indique notamment que les personnes en situation d’itinérance sont les plus exposées aux aléas climatiques et qu’elles ont une plus faible capacité d’adaptation pour se remettre d’événements climatiques extrêmes[10].

L’invisibilisation des personnes en situation d’itinérance contribue à les repousser dans l’angle mort des plans d’adaptation aux changements climatiques des différents paliers gouvernementaux, alors que certaines mesures d’adaptation peuvent entraîner directement ou indirectement des conséquences négatives non désirées sur ces individus et donc accroître les inégalités[1].

 

Des réflexions qui ne font que commencer

Nous observons une volonté grandissante d’entamer un dialogue collectif au Québec afin d’aborder la crise de l’itinérance, notamment avec la tenue du premier Sommet municipal sur l’itinérance en septembre dernier. En conjuguant cet intérêt à la multiplication des mesures d’adaptation aux changements climatiques mises en place, le moment est propice à l’émergence de réflexions sur les inégalités climatiques vécues par les personnes en situation d’itinérance.

Considérant le peu de recherches réalisées sur le sujet à ce jour, et particulièrement dans le contexte québécois, l’idée de ce pré-projet implique de développer une première vue d’ensemble et de mettre de la lumière sur cet enjeu invisibilisé. Ce travail permettra de poser les assises pour entreprendre un projet de recherche plus approfondi à long terme.

Restez à l’affût pour la publication du rapport de recherche au printemps 2024!

 

Références

[1] Després, E. (2021). État des connaissances sur les enjeux d’inégalités associées aux solutions d’adaptation aux changements climatiques. Rapport présenté à Ouranos et à l’Observatoire québécois des inégalités.

[2] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). (2023). Climate Change 2023 – Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press.

[3] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). (2023). Climate Change 2022 – Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (1re éd.). Cambridge University Press.

[4] Ville de Montréal. (2022). ADS+ 101 : Ensemble, nous formons toutes et tous la diversité. Ville de Montréal.

[5] Fondation David Suzuki. (s.d.). Parlons justice environnementale! Pourquoi on n’en parle pas au Québec? Fondation David Suzuki.

[6] Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2023). Dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec – Rapport de l’exercice du 11 octobre 2022. Gouvernement du Québec.

[7] Marcoux, C., Daigle, M. et Savage, A. (2023). L’itinérance à Montréal – Au-delà des chiffres. Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

[8] Bezgrebelna, M. et al. (2021). Climate Change, Weather, Housing Precarity, and Homelessness : A Systematic Review of Reviews. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(11).

[9] Therrien, M.-P. (2022). Itinérance et crise du logement : les refuges sont débordés [vidéo]. Noovo Info.

[10] Kidd, S. A. et al. (2021). The climate change–homelessness nexus. The Lancet, 397(10286), 1693‑1694.

 

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