L’assurance-emploi est-elle discriminatoire envers les femmes ?

Publié le 7 octobre 2019

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Depuis plusieurs semaines, une campagne de sensibilisation vise à relever le fait que le programme d’assurance emploi n’est plus adapté aux réalités actuelles du marché du travail et revendique une réforme pour y remédier. Cette campagne semble cependant ignorer le fait que les femmes semblent particulièrement désavantagées par les règles et les conditions du programme, comme en témoigne les revendications exprimées par les groupes de femmes depuis plusieurs années à cet égard. Ce billet vise à faire la synthèse d’inégalités de genre qui semblent être vécues par les femmes par le programme d’assurance-emploi.

 

Le programme d’assurance-emploi

L’assurance-emploi est un programme gouvernemental d’assurance sociale. Un de ses objectifs principaux est d’assurer la continuité du revenu lors d’un événement qui interrompt la capacité d’une personne de gagner un salaire pour des raisons spécifiées dans la loi et qui sont en dehors de son contrôle (licenciement, maladie et accident, interruption d’un travail saisonnier et congé parental, par exemple). Pour bénéficier de ces prestations, un individu doit souscrire au critère d’admissibilité qui consiste à avoir travaillé pendant une certaine durée au cours des 52 semaines précédant la demande, ce que l’on appelle la période de référence. Depuis sa création, le programme a connu de nombreuses réformes. Suite à celle de 1996, une personne doit avoir accumulé un certain nombre d’heures durant la période de référence alors qu’avant 1996, on se basait plutôt sur le nombre de semaines travaillées. Le graphique suivant nous permet de voir l’évolution de l’accès aux prestations entre les hommes et les femmes au Québec de 1976 à 2017. On peut y observer la grande accessibilité du programme au début de la période, puis une diminution progressive de l’accès par les réformes successives tant pour les hommes que pour les femmes. À partir de 1996 par contre, on remarque une cassure dans la tendance de l’accès aux prestations entre les hommes et les femmes.

 

graphique assurance emploi

 

Les données fournies par la Commission de l’assurance-emploi du Canada dans son rapport de contrôle et d’évaluation du régime et reproduites dans le mémoire semblent montrer une inégalité d’accès aux prestations entre hommes et femmes. En effet, en 2016, pour chaque dollar cotisé au programme d’assurance-emploi, les femmes recevaient 71 cents et les hommes, 1,23 $[1].

Comment expliquer cette inégalité d’accès aux prestations ? Premièrement, les femmes sont surreprésentées comme titulaires d’emplois à temps partiel. En 2018, elles occupaient près de 75 % des emplois à temps partiel dans la population des 25 à 54 ans[2].

Or, en 2017-2018, le taux d’admissibilité des travailleurs permanents à temps plein au chômage atteignait près de 95 %, contre près de 69 % pour les travailleurs permanents à temps partiel[3]. Il semble donc plus difficile pour les personnes travaillant à temps partiel de se qualifier à l’assurance-emploi. Cet état de fait est dû à la réforme de 1996 qui a modifié le critère d’admissibilité au régime afin de le définir en fonction du nombre d’heures travaillées plutôt que du nombre de semaines. Avant la réforme de 1996, des personnes qui travaillaient, par exemple, 26 semaines durant la période de référence, à raison de 20 heures par semaines, étaient admissibles aux prestations alors qu’elles ne le sont plus forcément aujourd’hui.

Notons que la situation est davantage problématique pour les régions à faible taux de chômage telles que Montréal, étant donné les normes d’admissibilité variables introduites au régime en 1996. Ces normes modulent les critères d’admissibilité et la durée des prestations au programme selon le taux de chômage de la région, faisant varier de 420 à 700 heures travaillées le critère d’admission. Il est donc plus difficile pour les travailleuses à temps partiel habitant à Montréal de s’y qualifier où le nombre d’heures exigé est plus élevé que dans une région au taux de chômage élevé.

 

Une discrimination plus prononcée au canada hors québec

L’assurance-emploi prévoit des prestations spéciales pour les personnes qui prennent un congé parental. Cependant, comme le décrit la professeure Ruth Rose dans une lettre ouverte à LA PRESSE publiée le 7 octobre 2019,  le programme limite à 50 semaines le maximum de prestations, toutes catégories confondues, auxquelles les personnes – principalement des femmes – peuvent bénéficier. Cette limite peut les empêcher de profiter de toutes les prestations auxquelles elles ont droit si elles perdent leur emploi durant ou juste après leur congé de maternité. En effet, le seuil des 50 semaines serait atteint en partie ou entièrement par les prestations spéciales, ce qui aurait pour effet d’invalider les prestations régulières normalement accordées à la perte de leur emploi.

Précisons qu’au Québec, grâce à l’existence du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), les conséquences de cette limite de 50 semaines sont moins lourdes mais existent néanmoins. Le Régime permet en effet à une personne de recevoir l’ensemble des prestations parentales auxquelles elle a droit, même si elle a reçu des prestations de chômage auparavant. Par contre, les prestations du RQAP sont comptées dans la limite de 50 semaines de l’assurance-emploi si une personne demande des prestations régulières après son congé parental.

 

Vers une nouvelle réforme ?

En ce qui concerne l’écart de bénéfices entre les hommes et les femmes par dollar cotisé au programme d’assurance-emploi, des nuances pourraient être émises. En effet, le taux de chômage des femmes pour l’ensemble du Québec en 2018 était de 5 % contre 5,9 % chez les hommes[4]. De plus, la durée moyenne du chômage des femmes est d’environ 15 semaines, comparativement à 21 semaines pour les hommes[5]. Puisque les femmes semblent moins en chômage que les hommes, et que leur durée de prestation de l’assurance-emploi est plus courte, cela pourrait en partie expliquer pourquoi elles en bénéficient moins.

Il n’en demeure pas moins que l’accessibilité aux prestations semble plus difficile pour les travailleurs et travailleuses à temps partiel et que les femmes sont surreprésentées à cet égard. Le net changement de tendance au moment de la réforme de 1996 suggère une discrimination systémique à l’égard des femmes.

Certains partis fédéraux profitent d’ailleurs de l’actuelle campagne électorale pour remettre en question certains aspects du programme d’assurance-emploi. Il ne serait donc pas surprenant d’assister à une nouvelle réforme de ce programme dans les prochaines années.

 

À propos de l’auteur de ce billet

Pierre Tircher

Portrait de Pierre Tircher

Pierre Tircher est présentement candidat au doctorat en relations industrielles de l’Université de Montréal auquel il a accédé directement à la fin de son baccalauréat en Relations industrielles. Son champ d’expertise se situe au niveau de l’économie du travail, des politiques publiques de l’emploi et des questions sociales liées au revenu. Il a coécrit avec Jean-Michel Cousineau l’ouvrage Emploi et salaire – 4ème édition (Presses Universitaires de Montréal), publié en janvier 2020. Il est également chargé de cours en microéconomie à l’Université de Montréal.

[1] Commission de l’assurance-emploi du Canada (2019), Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi 2017-2018, p. 50. Les ratios sont normalisés, ou rajustés, par la Commission de façon à ce que le ratio pour l’ensemble du Canada et l’ensemble de la population soit égal à 1,0. Donc, le ratio pour les deux sexes ensemble est de 1,0.

[3] Commission de l’assurance-emploi du Canada, op. cit., p. 81. La Commission définit le taux d’admissibilité comme étant le nombre de personnes qui avaient accumulé suffisamment d’heures pour se qualifier pour des prestations de chômage en pourcentage de celles qui avaient cotisé à l’assurance-emploi et qui avaient un motif valable pour avoir quitté leur emploi. C’est donc l’insuffisance du nombre d’heures qui rend la personne non admissible.

[4] Statistique Canada, Enquête sur la population active. Adapté par l’Institut de la statistique du Québec (2019). [en ligne]
[5] Ibid.

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