Derrière l’endettement des ménages, des inégalités d’accès au crédit

Publié le 12 Décembre 2024

L’endettement des ménages canadiens a atteint un sommet en 2022 et se maintient à un niveau particulièrement élevé depuis : la dette en proportion du revenu disponible a grimpé jusqu’à 187 % et cette proportion atteignait 177% au moment de publier cet article.  Cela signifie qu’en 2024, pour chaque dollar de revenu après impôt, les ménages du Canada devaient 1,77 $.

 

Figure 1. Dette en proportion du revenu disponible, Canada, 1990-2024

 

 

Source : Tableau 38-10-0235-01 tiré des Comptes du bilan national de Statistique Canada.

Si le niveau d’endettement des ménages canadiens peut paraître préoccupant, il semble nécessaire de rappeler que la dette ne constitue pas un problème si elle n’est pas associée à des difficultés de remboursement.

En fait, l’endettement constitue un levier d’avancement socioéconomique pour un grand nombre de familles. En particulier, le prêt hypothécaire représente le principal facteur d’accumulation de richesse des familles au Québec et au Canada.

Entre 1999 et 2023, la croissance des actifs immobiliers a été beaucoup plus importante que la croissance de la dette hypothécaire au Québec. Selon les données de l’Enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada, la dette hypothécaire a augmenté de 248 milliards de dollars, alors que la valeur des actifs immobiliers a augmenté de 952 milliards de dollars pendant cette période.

En général, ce sont les familles qui empruntent le plus qui connaissent la plus forte croissance de leurs actifs, tandis que les familles qui empruntent le moins sont celles qui enregistrent la plus faible croissance. C’est ce que nous mettions en évidence dans une note d’analyse publiée au printemps dernier et dont certaines données sont mises à jour dans ce texte.

Entre 1999 et 2023, les 20 % des familles les plus riches ont capté 59 % de l’augmentation de la valeur des actifs au Québec, contre seulement 1 % pour les 20 % les plus pauvres. Ces familles mieux nanties étaient celles qui détenaient la part la plus importante de la dette totale, soit 37 %. Les familles faisant partie des quintiles intermédiaires (2e, 3e et 4e quintile), détenaient ensemble 60 % de la dette en 2023 et ont capté 39 % de l’augmentation de la valeur des actifs entre 1999 et 2023.

 

Figure 2. Part de la dette totale en 2023 et part de l’augmentation de l’actif total entre 1999 et 2023 selon le quintile d’avoir net, Québec

Source : Analyse de l’Observatoire basée sur l’Enquête sur la sécurité financière 1999 et 2023.

 

L’endettement comme vecteur d’inégalités au Québec

En empruntant davantage, les familles les mieux nanties sont en mesure d’investir davantage dans des actifs financiers et non financiers. Ces familles se retrouvent conséquemment dans une meilleure posture pour générer et accumuler de la richesse.

Mais tout le monde n’a pas accès à ce levier d’enrichissement. L’exclusion financière, qui découle d’inégalités en matière d’accès au crédit, nuit à l’accumulation de richesse chez les familles les moins nanties et contribue à accentuer les inégalités de patrimoine.

En effet, l’accès au crédit est essentiel pour de nombreuses acquisitions d’actifs, notamment l’accession à la propriété et la création d’entreprises privées. L’exclusion financière limite ainsi la capacité à bâtir un patrimoine.

 

Un accès inégal au crédit

Les institutions financières exercent un large pouvoir d’inclusion et d’exclusion des emprunteurs potentiels. Afin de se prémunir contre le risque de non-remboursement, ils peuvent bloquer l’accès au crédit des emprunteurs qu’ils perçoivent à risque ou leur accorder un accès au crédit moyennant des taux d’intérêt nettement plus élevés.

L’évaluation des risques réalisée par les créanciers n’est pas à l’abri des préjugés et de la discrimination. Elle peut être influencée par les inégalités de statut social ayant cours dans la société. Comme le relevait  une étude sur le surendettement au Québec pilotée par la professeure Maude Pugliese, certaines catégories de personnes, telles que les personnes racisées et les personnes autochtones, sont plus souvent perçues par les prêteurs comme posant un risque de non-remboursement. C’est également le cas des ménages à faible revenu qui sont plus susceptibles d’être considérés comme insolvables, c’est-à-dire incapable de rembourser leurs dettes.

Selon les données de l’Enquête sur l’endettement parmi les ménages québécois de l’Institut national de la recherche scientifique, une personne sur cinq (20,5 %) ayant déjà fait une demande de crédit s’est déjà fait refuser celle-ci. Cette proportion est plus élevée chez les hommes (23,2 %), les personnes autochtones (38,5 %), les personnes racisées (28,4 %) et les personnes à plus faible revenu (25,6 % des personnes du premier quintile de revenu total).

 

Figure 3. Part des personnes s’étant déjà fait refuser une demande de crédit parmi les personnes ayant fait une demande selon certaines caractéristiques socioéconomiques, Québec, 2022

Source : Analyse de l’Observatoire basée sur l’Enquête sur l’endettement parmi les ménages québécois 2022 de l’INRS. Tiré de Geoffroy Boucher et Sandy Torres (2024). L’endettement comme générateur d’inégalités au Québec, Montréal, Observatoire québécois des inégalités.

 

Une épée à double tranchant

Si l’accès au crédit apparaît essentiel à la constitution d’un patrimoine, même les dettes contractées dans de bonnes conditions peuvent se transformer en fardeau en cas de changement dans la situation personnelle de l’emprunteur ou dans la conjoncture économique. Un faible niveau d’actifs et un niveau élevé d’endettement peuvent se révéler critiques en cas de perte d’emploi, au moment de la retraite ou lors de chocs économiques.

Un problème de santé peut également engendrer une spirale de difficultés. Comme le révélait l’analyse de l’Observatoire publiée au printemps dernier, l’endettement découlant d’un problème de santé peut constituer une source de stress importante qui, à son tour, peut avoir une incidence négative sur la santé.

 

Agir sur l’inclusion financière pour réduire les inégalités économiques

Garantir un accès plus équitable au crédit pour les personnes à faible revenu apparaît essentiel pour promouvoir une meilleure répartition de la richesse dans la société. Une meilleure réglementation entourant les prêteurs et une éducation adéquate des consommateurs et consommatrices pourraient également contribuer positivement au bien-être de la population.

D’autres pistes ont également été abordées lors du Forum Patrimoine et santé, un événement lors duquel une centaine d’acteurs de la société civile ont réfléchi aux solutions pour favoriser une répartition plus équitable de la richesse au Québec.

 

Pour aller plus loin

Consultez la note d’analyse L’endettement comme générateur d’inégalités au Québec de l’Observatoire québécois des inégalités.

Consultez le microsite Les difficultés liées aux dettes au Québec de l’Institut national de la recherche scientifique.

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